Interview par Annabelle Piery – La fille en rouge
Coup de cœur dès les premières secondes, j’ai été absorbée par cet album et l’univers musical du groupe. Je suis heureuse de vous le faire découvrir aujourd’hui grâce à un échange avec Carl Brown (chant crié) et Jamie Steadman (chant clair, guitare). Les membres d’Obeyer composent et jouent ensemble depuis 2010, mais sous le nom Lay Siege. Pour ce nouvel album, ils ont décidé de changer de nom : allons à la rencontre de ce nouveau groupe.
C’est le premier album d’Obeyer, est-ce que vous pouvez vous présenter et nous dire un peu plus comment le groupe est né et pourquoi avez-vous choisi ce nom, Obeyer ?
Jamie – Je m’appelle Jamie. Je suis guitariste dans le groupe. Au départ, j’ai commencé sur une guitare basse que mon père m’a donnée quand j’avais 14 ans et dont il a arraché toutes les frettes. J’ai donc appris à jouer sur une basse sans frettes, en gros. Et puis je suis passé à la guitare quand j’avais 15 ou 16 ans. Mais je voulais être le bassiste d’Alien on fire. C’était mon point de référence. Quant au nom du groupe, Obeyer, nous avions un groupe de discussion et nous y mettions des idées de noms, il y en avait des centaines et des centaines, juste des titres de chansons d’albums que nous aimions et aussi vraiment n’importe quoi. Et il n’y avait rien sur quoi nous pouvions nous mettre d’accord. Et puis Dave, un jour, a juste posé ce nom là et nous avons tous instantanément dit, oui, c’est celui-là. Ça sonnait juste bien. Et ça sonnait tellement bien que nous avons dû le chercher parce que nous nous sommes dit, c’est un super nom de groupe, c’est sûrement déjà pris. Mais ce n’était pas le cas.
Carl – Désolé, mon ordinateur ne fonctionnait pas ! Je m’appelle Carl. Je fais le chant dans Obeyer. Très heureux de parler avec toi aujourd’hui. Merci beaucoup d’avoir demandé à nous interviewer.
De rien, merci aussi de prendre le temps d’échanger avec moi ! Comme je ne suis pas anglophone, je ne suis pas certaine de comprendre complètement la signification du nom de l’album, Chemical Well. Pouvez-vous nous l’expliquer et nous dire ce que vous voulez transmettre avec ce premier album ?
Carl – Bien sûr, Chemical Well se rapporte, pour le résumer à son terme le plus simple, aux écrans, aux écrans d’ordinateur, aux écrans de téléphone portable, à tout ce sur quoi tu consommes des médias, que ce soit les réseaux sociaux, les actualités, n’importe quoi. J’avais en tête ce concept selon lequel ce que tu regardes, ce que tu vois et ce que tu lis dicte les substances chimiques dans ton cerveau, comment tu te sens, comment tu agis et comment tu mènes ta vie. Donc, tu sais, quand tu es attaché à un écran autant que les humains le sont de nos jours, cela peut vraiment perturber les substances chimiques dans ta tête. Et c’est un peu comme un puits de produits chimiques. Et tu ne sais pas vraiment ce que tu vas obtenir. Tu ne sais pas vraiment à quoi t’attendre. Et je pense que oui, les écrans en général, aussi incroyable que cela puisse être d’avoir accès à tout, tout le temps, il y a bien sûr un inconvénient naturel à cela. Et j’ai l’impression que nous commençons à voir, si ce n’est déjà fait, l’impact que le fait d’être connecté en permanence peut avoir sur soi-même en tant que personne et sur la société en général.
Jamie, tu veux ajouter quelque chose ?
Jamie – Non. Je veux dire, j’ai eu assez de travail sur l’écriture de la musique, donc j’ai tendance à laisser la signification textuelle à Carl. En fait, on a beaucoup écrit avant la pandémie et pendant la pandémie. Carl a dit d’emblée que pour cet album il voulait qu’il y ait comme un thème, un fil conducteur tout au long de l’album. Et puis il a mentionné ça et nous étions tous absolument d’accord. Ça donne du sens à l’album et ça correspond au ton de notre musique.
Carl – Je voulais créer une ambiance et un thème qui, comme Jamie l’a dit, correspondaient à la musique. Et j’avais besoin d’un sujet dans lequel je pouvais vraiment m’engager et parler de différents aspects de celui-ci. Et ce n’est pas une idée toute nouvelle que les gens pensent que les réseaux sociaux et passer du temps en ligne sont mauvais pour notre santé mentale. Mais je pense que, grâce à notre âge et à l’endroit où nous en sommes dans nos vies, nous avons pu voir l’avant Internet et nous avons vécu la naissance d’Internet et sommes arrivés à maintenant. Et j’ai l’impression d’avoir suffisamment d’expérience de vie pour au moins faire une observation à ce sujet.
J’ai vu que tous les morceaux sont signés par vous quatre : pouvez-vous me dire comment fonctionne la composition au sein du groupe ?
Jamie – Oui, nous sommes un groupe très old school. Nous nous retrouvons tous les quatre chaque semaine et nous improvisons. Soit je compose la musique devant tout le monde, soit je viens m’entraîner avec quelques petits morceaux que j’ai écris chez moi et que nous mettons ensemble dans la pièce. Même si, oui, j’écris toutes les parties musicales, tout le monde participe en disant, eh bien, ce morceau doit être placé ici et ensuite, pouvons-nous avoir quelque chose qui ressemble plus à ça ? Donc oui, nous sommes tous compositeurs car tout le monde joue un rôle dans la création de la musique et c’est ce que j’aime.
Carl – Et je pense que dans l’espace de répétition aussi, quand vous écrivez quelque chose ensemble, quand c’est juste, vous avez le sentiment commun que c’est bien. Cela donne un morceau beaucoup plus complet parce que, vous savez, Jamie pourrait écrire des trucs à la maison et les apporter et cela ne se traduirait peut-être pas en live. Dans l’espace de répétition, nous sommes tous des contributeurs, que nous écrivions directement de la musique ou que nous donnions notre avis. Je pense que nous sommes très conscients de la dynamique au sein du groupe et de ce que chacun apporte aux sessions. Et si quelqu’un d’autre était dans la pièce avec nous à ce moment-là, ce serait très différent parce que nous formons un groupe ensemble depuis si longtemps maintenant. Nous avons tous des idées différentes sur la façon dont quelque chose devrait sonner mais nous avons définitivement une idée commune de la manière dont on veut faire sonner Obeyer et c’est très, très important.
Votre musique m’a fait penser au groupe français Mantra, pas pour le chant c’est sûr, mais par rapport à certaines sonorités, notamment dans « Second sun ». Et aussi par rapport au fait que ce soit un groupe “old school” qui compose ensemble et se connaît depuis 15 ans mais surtout parce que leur musique est vraiment immersive, de la même manière que la vôtre, du moins d’après ce que j’ai ressenti. Quand j’ai écouté votre album, c’était comme si vous m’attrapiez dès la première seconde et que vous ne me lâchiez plus. Ce qui contribue à cet aspect immersif, ce sont aussi les transitions entre les morceaux, la façon dont vous avez choisis de passer d’un morceau à l’autre, ça forme une unité dans l’album. J’ai l’impression qu’il est très difficile de s’arrêter à un morceau : on commence, on va jusqu’au bout. Cette dimension immersive, est-ce c’est quelque chose que vous cherchiez à atteindre en composant Chemical Well ?
Jamie – Oui, les transitions entre les chansons sont définitivement quelque chose sur lequel nous avons travaillé parce que nous avions sorti un album il y a neuf ans sous le nom de Lay Siege. Et nous avons rapidement réalisé que nous n’avions pas vraiment, si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, mis notre maximum là-dedans. Nous avions juste rassemblé un tas de chansons et les avions enregistrées. Mais pour Chemical Well, on s’est donnés complètement. Et cet album, au départ, il n’était même pas fait avec l’intention que d’autres personnes l’écoutent. C’était juste pour nous quatre. C’était comme si nous voulions juste faire la meilleure chose que nous pouvions trouver et vraiment entrer dans les détails. Nous avons réécrit des parties individuelles de chansons tellement de fois au fil des années. Et Carl était particulièrement intéressé par les transitions entre les morceaux et par le fait de faire en sorte que le flux et la dynamique soient primordiaux. Et, manifestement, cela se ressent quand on l’écoute.
Carl – Je pense que, comme Jamie l’a mentionné, nous sommes un peu un groupe de la vieille école par rapport au fait qu’on se rassemble tous les quatre dans une pièce pour écrire. Je pense que nous étions peut-être aussi de la vieille école par rapport à la façon dont nous voulions que l’album soit vécu. Nous avons définitivement écrit l’album pour être écouté comme un seul morceau, comme un album. Et ces transitions entre les morceaux, c’est pourquoi nous avons tant travaillé dessus et avons réfléchi très, très longtemps à la liste des morceaux et à la façon dont l’album se déroule et où il vous mène. C’est super que ça ait marché, parce que comme tu l’as dit, quand tu commences l’album, tu te dis : je vais passer au suivant, au suivant, au suivant, et je ne peux pas m’empêcher de ne pas écouter la partie suivante. Et c’est ce que nous voulions créer. Nous voulions créer quelque chose sur lequel les gens pourraient s’asseoir et se concentrer, s’immerger et se perdre dans la musique pendant 40 minutes, parce que c’est comme ça que nous avons tous grandi en écoutant de la musique. Avant que le streaming n’arrive, j’avais l’habitude d’aller dans mon magasin de disques local et d’acheter un album chaque week-end et j’achetais juste tel ou tel album parce que la pochette avait l’air cool. Tu vois, tu avais une petite idée de ce à quoi il ressemblerait, mais tu dépensais ton argent pour cette semaine, tu ramenais cet album à la maison et tu l’écoutais pendant une ou deux semaines ou plus longtemps et t’apprenais vraiment à l’aimer ou à le détester. Mais t’étais en quelque sorte obligés de faire ça parce que tu n’avais pas d’autres options. Et oui, nous voulions créer cet album pour que ce soit comme ça, une fois que tu commences, tu ne peux plus t’arrêter. Et je suis content que ce soit le cas, que ça fonctionne. Ce n’est pas la première fois que nous entendons ça. Alors merci.
De rien ! Je suis heureuse d’avoir compris votre écriture musicale et senti votre musique de manière juste. Et justement, cette dimension immersive, est-ce que c’est peut-être une dimension que l’on retrouvera dans votre concert ? Est-ce que vous allez apporter une dimension supplémentaire à la musique afin de nous immerger encore plus ?
Carl – Avec Jamie, nous avons vu un groupe suédois appelé Grieved il y a environ huit ou neuf ans maintenant, quand ils sont venus au Royaume-Uni. Et quelque chose que nous avons absolument adoré quand nous les avons vus en live, c’est qu’ils sont montés sur scène, ils ont fait leur prestation et puis ils sont partis, sans discussion, sans interaction directe avec le public.
Jamie – Rien de ce genre entre les morceaux ?
Carl – Ouais, un tout petit peu de discussion entre les chansons, juste “nous voilà, voici notre musique et vous faites votre propre jugement”. Vous savez, j’essaie de me retenir sur scène de trop parler au public. C’est parfois difficile parce que vous voulez impliquer les gens, mais si les gens veulent bouger, si les gens veulent faire un pogo ou du head bang, alors ils le feront, je pense, qu’ils aient été encouragés ou non. Pour nous, l’idée est de créer une expérience où vous ne pouvez pas vous empêcher de le faire. Donc oui, cet aspect immersif est définitivement quelque chose que nous essayons de faire en live. Nous avons fait des transitions entre les morceaux en live et c’est quelque chose que nous avons toujours à cœur de faire mieux à chaque concert.
J’ai hâte de vous voir sur scène : peut-être en 2025 en France ?
Jamie – Oui, je l’espère. C’était l’une de nos déceptions avec Lay siege. Nous avions signé avec un label allemand et il a toujours été question qu’ils nous fassent venir pour une tournée européenne, mais ça ne s’est jamais concrétisé. Donc, oui, nous avons toujours eu ce sentiment d’inachevé et venir dans des endroits comme la France fait partie de ce que nous voulons faire avec Obeyer.
Quel est votre rêve en tant que musiciens, en tant qu’artistes ?
Carl – C’est une question difficile. Mais, en quelque sorte, je l’ai presque réalisé avec cet album. Je pense que si on avait posé cette question à l’un d’entre nous il y a cinq ans, nous vous aurions donné cette réponse, nous vous aurions dit “nous voulons écrire un album que les gens aiment écouter”. Et aussi “ce serait génial d’être signés par une maison de disques respectée”, ce que nous avons fait avec 3DOT Recordings. Donc oui, c’est le rêve. Nous sommes juste quatre amis qui se rencontrent et créent de la musique. Et cet album, au départ, était plus pour la vanité qu’autre chose. Comme Jamie l’a mentionné, nous avions juste besoin de nous prouver que nous pouvions réellement créer un album comme celui-ci. Le fait que ce soit maintenant repris par 3DOT, le fait que nous soyons mentionnés dans le même souffle que Periphery, Boundaries, Astronaut et tous ces bons groupes, c’est toujours époustouflant pour nous. Nous nous demandons encore parfois si c’est réel et nous nous rappelons à quel point nous avons de la chance. Nous voulons vraiment en profiter au maximum et voir où cela nous mène. Si nous sommes parfaitement honnêtes, c’est quelque chose qu’aucun d’entre nous n’avait vraiment envisagé. Donc oui, notre rêve, nous le vivons en ce moment.
Jamie – Moi, ce serait de jouer devant plus de monde. On faisait beaucoup de tournées avec Lay Siege, mais c’était toujours des petits lieux. Et on adorait ça. C’était génial. On avait notre petit van de tournée et on partait en week-end ou 10 jours d’affilée par exemple, et je ne changerais pas ça. C’était génial. Mais on n’a jamais vraiment eu l’occasion de jouer dans des clubs assez grands. On a joué une fois à Underworld à Londres, mais ce n’était pas quelque chose de régulier. Et donc on a toujours eu l’ambition d’aller dans des endroits plus grands, comme certains festivals – pourquoi pas le Hellfest, puisque nous rêvons ! Donc oui, j’espère que cet album est un tremplin pour nous faire monter sur ce genre de scènes aussi.
Et c’est l’heure de la question bonus ! J’ai regardé une interview de vous deux sur Metal Nation et, Carl, tu dis que tu ne sais pas chanter, que tu ne peux que crier. J’avoue que j’ai vraiment du mal à y croire, car, pour moi, le chant crié est le niveau supérieur par rapport au chant clair.
Jamie – Oh si, il peut chanter, je l’ai déjà entendu.
Carl – Non, je ne peux pas. Peut-être dans un karaoké, un peu bourré, je suis à mon niveau, mais à part ça, je ne pense pas que je puisse le faire. Peut-être avec un peu plus d’entraînement vocal. Je n’ai jamais voulu chanter de toute façon. Je n’ai toujours voulu que crier. J’ai grandi en écoutant de la musique dance, puis en écoutant Limp Bizkit, puis très rapidement des groupes comme Slipknot et Lamb of God. Et c’est à ce moment-là que je me suis dit, d’accord, je ne sais pas chanter, mais je peux définitivement essayer de crier. Et puis j’ai juste dû me développer vocalement au fil des années pour pouvoir le faire. Et oui, c’est définitivement un défi différent de crier que de chanter.
Pour conclure, je vous invite vraiment à écouter Chemical Well, et si vous avez bien lu, du début à la fin ! Et avec un casque… Pour mieux vous immerger. Pour moi, ces quatre musiciens s’apprêtent à conquérir le monde alors écoutez-les maintenant, ainsi vous pourrez dire : « J’étais là au début ! »