Vecteur Magazine

LOFOFORA - COEUR DE CIBLE

Interview par Camille FABRO, écrit par Christophe PINHEIRO

Photos : Anthéa Photography

Bienvenue en Terre Bretonne, c’est toujours un plaisir de vous recevoir, j ‘espère que l’accueil a été à la hauteur de vos attentes ?

On est arrivé il n’y a pas longtemps mais c’est très cool puisqu’on est content de jouer avec des groupes comme LA POISON, HEADCHARGER et SHAARGHOT.

Ce sont des gens qu’on apprécie, ça va être une bonne soirée c’est sûr.

Vous avez sorti votre onzième album le 4 Octobre : « Coeur de Cible ». Ce titre a-t-il une signification particulière ?

Le titre – contrairement à d’habitude quand on cherche un titre pour l’album – c’est avec le mix entre les mains et on est toujours autour du titre d’une chanson ou d’une formule qui figurait dans un des textes et qui pourrait faire un titre d’album. C’est toujours la colle.

Cette fois, je me suis livré à un exercice pour la première fois d’un album de LOFO c’est que c’est moi qui ai fait la pochette et donc quand j’ai fait ce coeur qui se fait transpercer, m’est venu le nom de l’album avec le visuel et je trouvais que ça correspondait assez avec ce qui avait avec l’intérieur du disque. C’est mon interprétation (rires).

Je me suis dit « Coeur de Cible ça me plaisait bien » parce qu’on est tous des consommateurs et on consomme énormément de réseaux sociaux où en fait on est le produit. Nous sommes le produit et on est le coeur de cible. Des cibles de plus en plus précisées par les algorithmes, etc… Toutes les informations qu’on reçoit et ce flux d’informations continu est super morose. On va dire ultra flippant, en permanence. C’est un peu mon coeur sur la pochette, en tout cas nos coeurs qui se font transpercer de part en part et qui réagissent en faisant cette musique là. Je trouvais ça drôle de sortir de son sens marketing, cette expression là : « coeur de cible ».
On voit bien qu’il ne s’agit pas du tout du coeur de cible comme on l’évoque d’habitude quand on est face à la pochette. Ça lui donne une dimension plus poétique.

LOFOFORA a 35 ans, est-ce que votre longévité s’explique par les paroles du titre « La Distance » ?

Ouais c’est le texte qui dit que c’est sûr. Par moment, on a voulu nous faire faire du Néo Metal ou un duo avec Bertrand Cantat ou des conneries comme ça et nous, on est resté un peu loin de pas mal de choses et d’opportunités vraiment commerciales.

Ce n’est pas vraiment ce qui s’est bousculer aux portillons dans la carrière de LOFOFORA mais toujours dans des situations de crise, on écoute plutôt notre coeur et le mec qu’on était quand on avait 15 ans – ce côté insouciant plutôt que le côté de la raison et de la conciliation –

Quand j’étais gamin, j’avais peur d’un truc – et qui touche pour moi tous les adultes – c’est la résignation. Je pense que ça ne m’atteint pas tant que ça finalement malgré mon grand âge.

Ça parle de tout ça, de la distance qu’on prend. C’est un point de vue personnel où je ne me suis jamais considéré d’aucune tribu, d’aucune secte, d’aucun clan comme on le dit dans le texte. Et pourtant je ne me prends pas comme un mec exceptionnel, individuel, seul et unique. Ça a contribué à notre longévité de ne pas être à la mode. Être à la mode ce n’est pas un projet, c’est déjà hier. C’est un peu con (rires).

Autant ne suivre que son instinct (rires). On s’écoute entre nous dans ce groupe là. C’est moi qui ait la plus grande gueule mais tout le monde a son mot à dire sauf le mec qui dort dans le fond (rires).

Vincent : Je t’écoute et on en reparlera après (rires).

OK on verra au débrief (rires).

La prochaine question est la vôtre « Comment faire pour kiffer nos vies  quand le monde nous dégoûte ? » 

Je me pose la question tous les jours. Je trouve tous les jours des raisons de kiffer ma vie. Déjà être vivant c’est bien. Puis quand t’as un toit au-dessus de ta tête quand tu vas dormir ce soir, que tu vas pouvoir manger aujourd’hui c’est cool. Nous ne sommes pas nombreux comme ça sur cette planète, faut pas croire.

Que ce soit la majorité des gens, arrêtez de chouiner sur notre propre nombril et pleurer pour les bonnes raisons et s’énerver dans la bonne direction.
Pour kiffer la vie, j’sais pas, j’pense que j’vais passer une bonne soirée avec les copains et que demain je vais rentrer chez moi avec ça à la maison, le partage. Moi ça me suffit. Je me suis découvert, de par le témoignage de mes proches, que j’étais un mec optimiste y a quelques années. Et c’est bien, je vous le conseille (rires).

J’avais une grand-mère qui disait :  « la peur n’épargne pas le danger ». Tout est flippant, mais rajouter du flip au flip, ça ne va pas faire avancer le schmilblick.

Tous les jours je lutte contre ça. Ce monde est complètement baisé, autant baisser les bras, prendre plein de drogues (rires).

Ce n’est pas mon choix. Ce n’est pas mon premier choix.

Tu parlais tout à l’heure de l’Artwork avec ce coeur transpercé par les armes. As-tu un mot à rajouter ?

Je n’aime pas trop faire de l’explication de texte. J’suis pas graphiste ni dessinateur. Enfin, j’suis graphiste autodictacte car je fais des pochettes pour des copains, des affiches pour des gens qui ont des bars. De ce fait, je n’aime pas trop quand il y a une étiquette. Pourquoi sous les tableaux dans les musées t’as une étiquette avec le titre où on s’en cogne ? Avec l’explication, encore pire. C’est difficile, je ne peux pas dresser un portrait précis de mon imagination tu vois ce que je veux dire ? Où elle s’arrête, par quoi elle se fait percuter, comment elle fonctionne, je ne sais pas. Il y a un côté nébuleux là-dedans qui me va très bien. Donc le fait d’avoir fait les paroles de l’album et aussi la pochette, pour moi il y a un truc qui se correspond mais alors les ficelles entre les deux, je ne saurai pas vraiment les définir précisément. C’est à chacun de se faire son boulot.

Aujourd’hui j’ai regardé Cloud Atlas comme film. C’est un film réalisé par les deux réalisatrices de Matrix. C’est une grande fresque, pas si prétentieuse que ça, y a des moyens mais tu ne peux pas demander aux gens de l’expliquer. C’est comme un film choral où chaque groupe de personnes est à une époque différente et tu te rends compte que ce sont les mêmes acteurs qui jouent des personnages différents à une époque différente. Y a Tom Hanks que j’aime pas trop comme acteur qui fait des rôles complètement métamorphosés. C’est assez chouette.

C’est le truc typique que tu ne peux pas expliquer, c’est inracontable mais je ne mets pas à cette hauteur là de création. C’est difficile d’expliquer quelles sont les ficelles entre les tenants et les aboutissants de l’imagination.

Même si j’ai des textes très terre à terre dans Lofo, j’aime me rendre compte qu’il y a des gens qui en ont des interprétations différentes, en tout cas, personnelles qui vont être différentes. Ça en général, ça me plaît bien. Je me dis que je ne fais pas un truc complètement défini et normé comme un bout de pâte à modeler. Chacun peut le tordre dans le sens où il veut (rires).

Christophe a un coup de coeur pour le titre « Konstat 2024 » Il adore ce côté Punk à la SEX PISTOLS. La vidéo qui l’accompagne est excellente. Êtes-vous restés de grands ados ?

Oui oui c’est sûr.

Comme je te l’ai dit tout à l’heure, dans le doute je préfère faire appel au Reuno de 15 ans qui va dire « Ferme ta gueule ». Au même titre que le cerveau humain qui se développe comme un oignon, par couche, moi je me dis : « pourquoi parce que t’as 50 balais, tu dois tuer le gosse ? »

Un peu comme Cadillac dans le morceau de STUPEFLIP (« Stupeflip vite » NLDR) « Il est où le p’tiot qu’t’étais? ». Faut l’aimer, faut le respecter, voyez faut l’écouter. Moi il est encore de très bon conseil (rires).

L’avantage de l’âge c’est que tu continues à avoir plus de projets que de regrets. Tu peux en avoir rien à foutre de pas mal de trucs. Ça c’est pas mal, c’est un luxe (rires).

Musicalement, l’album est intéressant. On retrouve des passage Rockabily rappelant THE CRAMPS sur « Les Deux », ou encore du Metal sur « Maladie Mortelle » et même du Hip-Hop à la BEASTIE BOYS sur « Laisse Pas Faire ». Comment naissent vos morceaux ? Y-a-t-il une volonté de faire sonner un titre de telle ou telle façon ?

Comme l’a dit HEADCHARGER : « on en a plus rien à foutre ». Nous pareil ! (Rires)

HEADCHARGER dans le fond : c’est pour ça qu’on est chez At(h)ome

Tous les groupes qui n’en ont plus rien à foutre sont tous chez At(h)ome maintenant (rires).

En tout cas dont l’égo ne rentre pas chez Verycords.

Oui donc on s’autorise ce qu’on veut en fait. Ce qui est cool avec LOFO c’est qu’on a trouvé une formule qui est renouvelable à l’infini. Sur les derniers albums, on était plus sur un truc Metal mais sur les premiers disques y avait des Groove Jazzy, ça pouvait partir dans du Dub, n’importe où. On en avait rien à carrer. Du coup c’est un petit peu ça aussi.

C’est Daniel qui m’envoie des morceaux qui ressemblent au CRAMPS, de mon groupe préféré du monde, de la vie. J’suis là « hé mais je ne vais pas chanter ça avec un Slap Back » et j’ai essayé d’en faire un morceau de LOFO et ça c’est cool.
Y a une question qui est arrivé en studio : « Putain comment on va faire pour uniformiser tout ça sur un album ? » et on était content que Francis Kass le mixe et réussisse à le mettre sur le même truc.

Pour ce qui est des paroles, lorsque l’on s’appelle LOFOFORA, l’actualité est un bon terrain de jeu. Vous avez de longues années devant vous. Êtes-vous conscients que la retraite ne sera probablement pas pour vous ?

Ma gosse l’autre fois me demande : « pourquoi ils font la grève à l’école, c’est pour bosser jusqu’à 85 ans ?

Non, ça c’est pour toi ma chérie. » (rires)

Faut qu’elle ait de l’humour.

Mais bon ce n’est pas un projet. Quand ton travail, c’est devenu ton travail par accident alors que c’est le truc que j’aime faire le plus, j’pense que je continuerai. Comme je le dis souvent à des copains : « Tout aussi bien qu’on finira toi à la guitare, moi à la voix de refaire des reprises de blues dans les pizzeria de la Côte Atlantique. » Et ça ne me fait même pas peur cette vision des choses.
Au pire si c’est la guerre et qu’il n’y a plus d’électricité j’irai chanter dans vos cours en tapant sur des casseroles. Je ne pense pas à la retraite sinon j’serai un vieux dans la campagne à faire pousser de la beuh dans sa grange, insoupçonnable, où je finirai ma carrière dans le banditisme (rires).

Dans quelques heures vous allez monter sur scène. Après tant d’années, ressent-on toujours du trac avant de jouer et à quoi doit-on s’attendre ?

Je ne vais pas commencer ce soir. On a pas le trac chez LOFOFORA, j’pense pas. On est plutôt excité d’y aller. Quand c’est la dernière demie heure, j’ai une montée de température, j’ai plus chaud, j’dois prendre deux degrés j’pense et j’ai comme une impatience. Faut qu’on y aille ! (rires).

Le trac c’est pas vraiment mon truc. J’ai connu des gens qui allaient vomir, qui étaient insupportables avant de jouer ou qui étaient dans leur coin. T’as l’impression qu’ils vont se flinguer.

Non non, nous on est comme là, pareil, à un moment faut y aller, on y va. On est content, on aime ça de faire de la musique avec les copains. C’est pas un truc qui nous angoisse comme quand t’as rendez-vous avec ta fiancée. Le petit trac que tu as, c’est comme des petits papillons, plutôt sympa. A partir du moment où t’as une confiance entre nous quatre fait que partout on pose nos amplis, on est chez nous.

A partir de là, il n’y a pas le trac et à quoi peut-on s’attendre ? Et bah pas à un groupe de reprise de LOFOFORA.

Je vanne là-dessus car il y a des groupes quand ils arrivent à 6-8 albums, à chaque sortie d’albums, ils jouent une à deux chansons et après ils te rejouent le même Best-of qu’ils trimballent depuis 15 – 20 ans et je trouve cela pénible et tellement pas Rock’n’Roll. Nous, sur 20 titres qu’on joue, on fait 8 titres tout neuf du nouvel album. On se rend compte que c’est la facilité à faire notre setlist parmi les morceaux les plus écoutés sur Spotify et on sait que c’est ceux-là que les gens connaîtront et seront contents. Et ceux-là on les joue pas.

On aime bien se faire plaisir plutôt que de se dire « Qu’est-ce que le public attend de nous ? ». On ne fait pas de marketing, on se fait plaisir. Et les gens « Ouais vous avez pas joué celle-là » qui sont déçus mais en fait, même si on a joué plein de nouveau morceaux, ils sont contents car on a pas fait semblant et donné tout ce qu’on avait. Et s’il y en a un peu plus, je vous le mets quand même (rires).

Si vous avez un album culte en tant qu’auditeur, lequel est-ce ?

Oh là là ! J’en ai trois par jour des albums cultes. J’exagère mais j’écoute plein de choses nouvelles, tout le temps. Là aujourd’hui j’écoutais de la Drum’N’Bass Anglaise, des trucs de porcasse, vraiment ça claque la tronche. Juste avant on écoutait un album de tribute band de REFUSED et y a la reprise du groupe GEL, un groupe que j’adore. La chanteuse a un côté ultra sauvage qui est vraiment bourrin. J’aime beaucoup ça. Donc il y a GEL, ZULU qui font de superbes reprises. Voilà donc notre album culte du jour sera « The Shape of Punk to Come Obliterated » qui est sorti hier ou avant-hier.
Je vous conseille ça, c’est l’occasion de découvrir de nouveaux groupes et de réecouter SNAPCASE, un groupe de Hardcore des années 2000. C’était incroyable.

Le mot de la fin est pour vous.

Tu m’as dit que tu tenais un bar en plus ? Bah voilà, souvent mon mot de la fin c’est de pousser les gens à aller fréquenter les petits lieux, d’aller voir les groupes émergents dans ces lieux où on paie 5 balles, 10 balles pour des gens où on fait même des soirées à prix libre. C’est vraiment un truc essentiel à faire.

Ne laissons pas tout le boulot aux algorithmes (rires).

Y a un gouffre qui s’est créé entre justement pouvoir jouer dans les bars les premières parties et après pouvoir décoller et tourner un peu partout. Alors tu as des groupes maintenant avec les réseaux quand ils sont vraiment dans des groupes niche : le doom, le sludge ou le garage donc ils arrivent à s’exporter à l’étranger mais faire des tournées ne serait ce qu’en France pour pas mal de groupes, sortir de leur département ou de leur région souvent c’est la croix et la bannière.

Donc quand y a des gens qui prennent leur courage à deux mains et qui tiennent des affaires où tu dois faire venir des groupes un peu plus loin pour justement créer une interactivité il faut suivre ce truc là. Il faut soutenir cette scène là.

Il y a une tendance qui s’opère en France et un peu partout à l’international : les gens sont prêts à claquer des 50, 60 euros pour voir des gros trucs et de moins en moins pour voir des petites choses. Enfin des petites choses… c’est pas du tout péjoratif car j’adore me faire suinter dessus dans les petites salles là où le Rock se passe. C’est pas sous les feux d’artifice dans les Arena.

Donc voilà : soutenez la scène.

 

Merci Renau !

PLUS D'INFORMATIONS

  • Artiste : LOFOFORA
  • Album : Coeur de Cible
  • Label : AT(H)OME
  • Date de sortie : 4 Octobre 2024