Vecteur Magazine

APHRODITE'S CHILD - 666

Chronique par Jérémie BENNARD

Voyage dans le temps… 52 années en arrière. A cette époque, en 1972, Woodstock n’est pas un simple souvenir, mais un événement vécu fraîchement par des milliers d’auditeurs de musique psychédélique. Et à travers les âges de ce style, un groupe, un album, restera irremplaçable et indéfinissable… 

Alors que la religion pèse encore dans la vie des citoyens occidentaux, la Grèce passe la seconde, et présente l’album qui fera de Vangelis (Evángelos Odysséas Papathanassíou) et Demis Roussos des légendes de la musique des seventy. Bien que leur oeuvre la plus connue reste à ce moment la musique pop de Rain & Tears (Mercury), Aphrodite’s Child se lance dans la musique progressive… et propose avec 666 une pierre angulaire de ce style. Décrié, il s’agit avant tout d’une adaptation musicale de l’Apocalypse de Saint-Jean, le titre faisant référence au chiffre de la Bête (chapitre 13, verset 18), bien avant Iron Maiden. Malgré la censure, l’opus sort avec à l’intérieur de la pochette, cette phrase : « This work was recorded under the influence of Sahlep » (Cet album a été enregistré sous l’influence du Sahlep). Un démon ? Une divinité malsaine ? Non, simplement une boisson inoffensive, mais il en faut parfois peu pour que les chrétiens soient choqués… même si l’on ne pourra leur reprocher leur stupéfaction d’entendre Irène Papas sur le titre Infinity y interpréter un orgasme féminin sur fond de percussions.

Les paroles de Costas Ferris ne sont pas sans rappeler les textes sacrés du dernier livre de la Bible, souvent directement emprunté à L’Apocalypse de Saint Jean, qui devait lui-même consommer des substances douteuses pour en arriver à de telles allégories.

Le vinyle de l’époque propose 4 faces et 24 morceaux, chacun très différent des autres, tant par sa structure que sa durée.


« Que celui qui a de l’intelligence déchiffre le nombre de la Bête ; c’est le nombre d’un homme et ce nombre est 666. »

La sortie elle-même de cet album ne porta pas chance aux 4 cavaliers Athéniens. Fuyant l’oppression des colonels totalitaires de la Grèce de 1968, ils se retrouvent coincés à Paris par les grèves massives de mai 68 (ou par des problèmes administratifs selon les sources) et profitent de ce temps pour composer les prémices de ce que deviendra Aphrodite’s Child. « Rain and Tears » ou « It’s Five O’Clock » en 45 tours font un carton commercial. Mais lorsqu’il s’agit d’adapter le Livre des Révélations, là, ça coince. Le chrétien mesuré y entendra une voix lui dire que la porte est ouverte vers une interprétation plus imagée du livre de Saint Jean. D’autres y entendront la voix du diable, comme les dirigeants de Phonogram qui, à l’écoute de 666, décideront tout simplement de ne rien faire, et de laisser s’écouler plus d’un an avant de mettre à la disposition des fidèles du Vatican (ou pas) cette œuvre à la fois psyché et déjanté. Les frictions entre les membres du groupe empirent au fur et à mesure de l’enregistrement, au point que Aphrodite’s Child se disloque peu avant la sortie de leur ultime œuvre, en 1972. Vangelis termine seul le mixage final de l’album et fait le nécessaire pour le sortir. Il est à noter que les capacités musicales de Vangelis se font nettement entendre sur plusieurs titres de 666. Il suffit de mettre la Face B du premier vinyle pour écouter Aegian Sea et comprendre que le maître des synthétiseurs n’en était alors qu’à ses prémices.

L’approche de cet album n’a pourtant rien de caché : on découvre en musique les visions de Saint Jean à travers le codex aux sept sceaux « qui ne pourra être ouvert que par l’agneau », suivi de l’intervention des quatre cavaliers de l’apocalypse, la chute de Babylone la grande, l’avènement de la Bête, le mariage de l’agneau : l’eschatologie à son paroxysme musical.

Une histoire qui finira par les titres « Hic and Nunc » et « All the Seats were Occupied », le premier reprenant les propos de la fin de ce système tandis que le suivant, d’une vingtaine de minutes, constitue la conclusion parfaite… jusqu’à ce que le calme de « Break » vienne enfoncer le clou (sans mauvais jeu de mots au vu du contexte). Cet ultime morceau a eu droit à son clip, tourné sur les Champs Elysée à Paris en 1970. 

Il est évident que parler de cet album 50 ans plus tard est impossible en un seul et même article. La vision du groupe était telle que l’on en vient à se demander si 666 ne dépasse pas The Dark Side Of The Moon. Toujours est-il que si vous n’avez jamais prêté une oreille au travail de Aphrodite’s Child, vous avez raté une pièce maîtresse de l’histoire de la musique prog. Une solution pour vous rattraper s’offre à vous via la réédition de cette œuvre à travers un coffret collector. Ce dernier comprend l’album remastérisé avec le mixage original, ainsi que la rare version grecque de 1974 (qui présentait des mixages très différents de ceux de l’album original), ainsi qu’un Blu-ray comprenant les mixages Atmos & 5.1 et le mixage stéréo, tous supervisés par Vangelis. Le coffret comprend également un livre richement illustré avec un nouvel essai et des interviews et des photos du groupe inédites que Vangelis a trouvées dans des archives à travers l’Europe peu avant sa mort en mai 2022.



PLUS D'INFORMATIONS



  • Artiste : Aphrodite’s Child
  • Album : 666
  • Date de sortie : juin 1972 via Vertigo Records
  • Réédition : 8 novembre 2024
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