Vecteur Magazine

SAINT AGNES

20.09.2023

Par Valentin Pochart, photos de Scott Chalmers

En septembre dernier, j’ai pu rencontrer Kitty, John et Andy du groupe SAINT AGNES, selon moi un des groupes qui méritent le plus d’avoir du succès en ce moment, au Dr Feelgood Rocket à Paris (vous pourrez trouver ma chronique de ‘Bloodsuckers’ dans le Vecteur Magazine numéro 16, par ici). Nous avons pu discuter de ‘Bloodsuckers’, de ce que cet album représente pour Kitty et pour le groupe, ainsi que des futures dates de concerts (à commencer par un concert aux Etoiles à Paris qui s’annonce dantesque le 06/02/2024, trouvez vos places par ici). Un échange plein d’émotions qui m’a conforté dans l’idée que SAINT AGNES iront loin, très loin !

‘Bloodsuckers’ est sorti il y a quelques semaines, que pensez-vous des retours qu’il a reçu ?

Kitty : ça a été génial ! On est partis en tournée avec MONSTER MAGNET, et on a joué les chansons pour la première fois à ce public, et c’était un peu avant la sortie de l’album donc le public ne connaissait pas celles-ci. La réaction a été totalement différente de tout ce qu’on a pu avoir avant. C’est un album super personnel, les chansons sont pleines d’émotions et le public l’a vraiment perçu. On voyait les gens vraiment connectés à ce que je chantais, et vraiment à fond dans le moment. C’était incroyable ! Et avec la sortie de l’album, c’était super d’avoir enfin présenté ces chansons au monde !

John : On est très fiers qu’à travers l’adversité à laquelle on a fait face en enregistrant l’album. Il y a un vrai sentiment de victoire quand on le voit en rayon dans un magasin de disques.

Kitty : Oui on a reçu un colis en tournée avec le vinyle et je n’ai pas pu m’arrêter de pleurer ! Puis on a tous pleuré car ça représentait tellement après une période si difficile, de pouvoir dire « le voilà, j’ai fait ça, au moment le plus difficile de ma vie j’ai fait un album dont je suis très fière, et le voilà ». C’était très spécial !

J’ai beaucoup aimé l’album, son urgence et son côté brut. Je sais qu’il vient d’un moment très difficile mais il est très libérateur aussi à travers les performances vraiment pleines d’émotions. Qu’avez-vous dû faire pour arriver à ce résultat ?

Kitty : On a commencé à le faire littéralement quelques semaines après le décès inattendu et choquant de ma mère, c’était vraiment un moment horrible. Et c’est vraiment ça, j’étais tellement remplie d’émotions que ça fuyait. Je n’y pouvais rien. Ces performances vocales sont les seules que j’ai pu faire, car j’étais vraiment chamboulée à l’époque. On a travaillé sur la chanson « Follow You » avec le producteur Sean Bevan, qui a travaillé avec NINE INCH NAILS. Et c’était une des personnes avec qui on rêvait de travailler. On était plutôt nerveux parce qu’on allait enregistrer tout nous-mêmes et qu’on avait signé sur un label « major ». On se demandait si on serait capables de le faire nous-mêmes, et Sean a écouté notre démo et a dit « vous n’avez rien besoin de changer par rapport à votre manière d’enregistrer, c’est génial, prenez le micro que vous utilisez en live, faites ce que vous faites en live et jouez comme ça ». Et c’est comme ça je pense qu’on a capturé des performances aussi brutes et pleines d’émotions, car c’était juste en une seule prise pour beaucoup des chansons. C’était avec le micro qui voyageait avec moi.

John : Tous les médias modernes est édité, photoshoppé et filtré, et la musique ne fait pas exception. Tout est édité pour le rendre parfait et beau, et même le metal est créé de la même manière aujourd’hui que la musique électronique des années 90. Mais quand tu décides de faire une photographie sans l’éditer, sans y mettre de filtre, c’est une déclaration. Et même si la majorité des gens trouvera ça moche, il y aura un petit pourcentage de la population qui trouvera ça vraiment fascinant et vraiment beau d’une manière qui n’aurait pas pu exister en le modifiant. C’est exactement pareil avec la musique, on a pris la décision de ne rien réparer. On a utilisé la technologie pour faire du bruit et distordre le son, mais jamais pour réparer. Et on sait que ça rend les choses plus moches et plus brutes, mais on l’a fait pour les gens qui pensent que ce qu’on fait est d’une certaine manière spéciale et unique d’une manière que seuls nous savons faire.

Andy : Qu’y a-t-il de plus libérateur que d’être accepté entièrement pour ce que tu es ? A mener ta vie de la manière que tu souhaites. Et c’est ce que Kitty savait en faisant cet album, c’était évident, ce serait un album brut car c’est ce qu’elle sait faire.

C’est marrant que vous disiez que l’album a été enregistré presque en live car la première chose que j’ai pensé en écoutant cet album, c’est que ça me rappelait les premiers concerts que j’allais voir, avec l’odeur de bière et les petites scènes… Je ne savais rien sur l’album et j’ai vraiment ressenti cette énergie !

John : C’est exactement ce qu’on voulait faire ressentir. On parle souvent de quand on va voir un concert qu’on aime, on va voir un groupe qu’on a envie de voir, et le souvenir est complexe car c’est beaucoup d’images, de sons et la sensation du public, les cris… Il y a des milliers de sensations différentes qui s’inscrivent dans ce souvenir. Ce n’est pas une vidéo mentale parfaite d’un concert !

Kitty : J’ai l’impression qu’on a toujours essayé de recréer ça. C’est bizarre pour moi de penser que tous les groupes ne veulent pas faire ça, quand un album est super propre et parfait… Moi je veux toujours que ce soit viscéral et sale. Ça me fait rentrer dans l’ambiance, j’imagine.

J’avais aussi pensé au premier RAGE AGAINST THE MACHINE en écoutant l’album, avec un peu de NOVA TWINS ou de WARGASM… C’est carrément ce que j’écoute en ce moment, et j’ai adoré ça !

John : A vrai dire le premier et même tous les albums de RAGE AGAINST THE MACHINE ont été très influents pour nous.

Andy : Et le premier a été enregistré avec un public dans le studio !

John : Oui c’est de là que vient une partie de l’énergie et de l’excitation dans cet album ! Et on a été très influencés par ça. Et je pense que pour ta comparaison avec NOVA TWINS et WARGASM, ça a à voir avec un certain climat musical qu’on a au Royaume-Uni en ce moment. Je ne pense pas que ces groupes sonnent de la même manière, mais ils partagent un petit ingrédient. Je pense que c’est parce qu’on a tous grandi en écoutant THE PRODIGY et RAGE AGAINST THE MACHINE en même temps. Et je pense qu’on a pris des éléments de ça qui sont dans notre ADN musical. Chacun de nos groupes l’exprime différemment, WARGASM est plus électronique, NOVA TWINS ont un élément plus pop, et nous un peu plus punk. Chacun choisit sa manière d’exprimer ce qui est important pour eux.

Une de mes chansons préférées était « At War With Myself » car il y a une vraie montée en puissance et des émotions brutes. Comment l’avez-vous rendue aussi immersive ?

Kitty : C’est une de mes préférées également. Et je l’ai écrite à propose de difficultés mentales que j’ai vécues, et c’est probablement la chanson la plus honnête que j’ai écrite, au point où c’est difficile d’être si vulnérable publiquement. Et on voulait vraiment que la musique et les paroles correspondent à la manière dont je percevais mon esprit. Donc le défi était de prendre cette chose qui a commencé en étant un petit bruit énervant dans la tête, qu’on a retranscrit avec ce son de guitare, et le faire se répéter et grandir jusqu’à ce que ça implose au point d’être un chaos mental. On a vraiment travaillé dur pour que la musique reflète comment je me sentais.

John : Cette chanson est venue entièrement de Kitty. De toutes les chansons c’est celle dont j’étais le moins sûr en l’écrivant. Kitty et moi écrivons à peu près tout le temps ensemble, et j’ai tendance à toujours voir où vont les choses. Je ressens vers où on va. Et pour celle-là, Kitty a dit « j’ai une idée, je veux faire une chanson qui n’a pas de paroles précises ou de sons précis, je veux que ça sonne comme une dépression nerveuse. Je veux que ça commence là, que ça finisse là… Et j’ai une idée, crois-moi ». Et c’est ce que j’ai fait, je lui ai fait confiance. Et quand je jouais de la guitare, je lui demandais constamment des retours. Et soudain, à un moment, j’ai compris où ça allait, et j’ai vu la structure, et là la chanson avait un sens pour moi. Et quand on l’a assemblée avec Andy qui a amené sa partie heavy presque mécanique de batterie, ça sonnait comme la dépression nerveuse que j’ai vu Kitty traverser plusieurs fois. Je l’ai vue vivre ça et c’était une chanson qui sonnait comme ce que j’avais vu.

Je l’ai vraiment ressenti, et ça se calme à la fin même si ça continue encore et encore. C’est réaliste de l’avoir fait comme ça !

John : Et la voix s’arrête au milieu de la phrase, et c’était intentionnel. Kitty disait qu’elle en avait marre de l’épuisement de devoir faire face à ça tout le temps, et on voulait faire ressentir le fait que ça dure toujours. Le meilleur moyen, c’était de l’arrêter brusquement. J’étais très ennuyé par le fait de juste appuyer sur stop, et on a essayé de recréer ce son.

Andy : En live ça décolle bien aussi, on a commencé à la faire en live.

John : Oui, on ouvre le concert sur ça.

J’aimerais beaucoup voir ça en live !

Kitty : Oui ça te décolle la tête quand ça démarre (rire) !

Andy : On voit les gens devenir fous (rire) !

John : La première fois qu’on l’a jouée en live c’était très excitant ! C’était excitant de faire partie d’un groupe qui jouait quelque chose d’aussi brut et viscéral !

Kitty, as-tu hésité avant de publier cette chanson et « This Is Not The End », qui est tout aussi intime, sur l’album ?

Kitty : Non, pas du tout. Je pense que quand quelque chose de très traumatisant t’arrive, tu décides… Enfin ça dépend des gens, mais j’ai décidé que je voulais que ça me change d’une manière positive. Je voulais grandir à travers ça et trouver la lumière dans quelque chose d’aussi sombre. C’était une pensée que j’avais quand ma mère était malade, « tu vas devoir faire quelque chose de positif à partir de ça car tu ne vas pas t’en sortir si tu ne le fais pas ». C’était tellement difficile ! Et une partie de ça était de faire un album hyper honnête, authentique et fait d’émotions pures. Car en tant qu’artiste, c’est ce que tu recherches. Pour moi ça a toujours été le but, être aussi vraie que possible. Je n’ai pas hésité une seconde, je voulais tout de suite faire l’album.

John : Et « This Is Not The End » a été la dernière chanson qu’on a écrite pour l’album. Kitty a dit « j’ai traversé la colère, j’ai réglé une partie de ça, maintenant j’ai l’espace mental d’écrire une chanson sur le deuil de ma mère ». Donc elle a écrit la chanson, et on l’a écrite et enregistrée en une journée, en une prise de voix, en se disant « c’est ce que c’est ». Et il n’y a jamais eu de question sur le fait que ce serait sur l’album. Il fallait que ce soit sur l’album car elle apportait beaucoup à l’histoire.

Kitty : Et je pense qu’en grandissant, quand beaucoup de choses t’arrivent, tu arrêtes de réfléchir autant de ce que les gens pensent, et au jugement des autres. Tout ce qui m’intéresse maintenant c’est ce que je pense de l’art que je crée, et si je l’aime, c’est bon, je me fous du reste.

John : Il y a une super citation de METALLICA quand ils ont fait l’album ‘Load’, que j’adore. Dessus il y a la chanson « Mama Said » qui est une chanson country acoustique, et quelqu’un leur a demandé si c’était vraiment une chanson de METALLICA. Ce à quoi Kirk Hammett a répondu « James Hetfield et Lars Ulrich l’ont écrite, c’est une putain de chanson de METALLICA ». Ils définissent ce que METALLICA est, pas les gens extérieurs. Et c’est pareil pour nous.

La raison pour laquelle j’ai parlé de cette chanson est parce que c’est aussi une de mes préférées. Elle est très simple et l’émotion brute te vient en l’écoutant. Ça semble simple mais on sent que c’est plus qu’une chanson quand on l’écoute.

Kitty : Merci beaucoup !

John : Je pense qu’une émotion est quelque chose de très complexe. Tu ne peux pas la définir avec juste des mots ou juste du son. C’est une combinaison de quelque chose de beaucoup plus grand que des parties individuelles, et c’est ce que Kitty a réussi à faire avec cette chanson. Si tu lis les paroles, c’est seulement la moitié du truc. Tu as besoin du tout, et tu en sors en te disant « je ne sais pas ce que j’ai entendu, mais c’est inspirant ». Chaque fois qu’on a joué cette chanson en live, c’était une expérience différente. C’était presque une saveur différente à chaque fois, une différente forme de tristesse ou d’euphorie. Mais c’est toujours intense. C’est « heavy », c’est de la musique heavy.

Exactement ! Une autre que j’adore est « Follow You » qui est une des plus puissantes sur l’album ! J’ai très hâte de la voir en live !

John : Pour rester sur les émotions, je pense que l’espoir est la plus difficile à capturer et à rendre en musique ! Je sais que les groupes heavy en parlent peu, mais U2, sur leurs premiers albums, avaient cette manière magique d’avoir de l’espoir dans leurs chansons tristes. Et j’ai toujours adoré ça ! Et il y a une chanson qui s’appelle « Bad » qui est magique car à travers cette musique répétitive qui a un élément de tristesse, tu ressors grandi et plus rempli d’espoir, et tu ressens un amour pour le monde.

Kitty (en chantant) : « It’s a beautiful day » (rire) !

John : C’est un peu moins direct que ça (rire) ! Quand on a écrit « Follow You » avec Kitty, on avait fait une démo incroyablement brute. Et je me souviens que dès que dès qu’on avait fait celle-ci, on a parlé à notre label pour leur dire qu’on a écrit quelque chose de spécial. On sentait qu’elle contenait de l’espoir. Et ça parle de notre amitié. Et je pense que rien n’est mieux qu’avoir des paroles et des émotions incroyablement honnêtes comme ça. Et j’adore la vidéo qu’on a fait pour cette chanson d’ailleurs ! Je pense que c’est ma préférée parmi les vidéos qu’on a faites. Tu parlais d’aller en concert tout à l’heure, et on voulait recréer ce qu’on aime sur les concerts de la fin des années 90 et du début des années 2000 en vidéo. Comment c’était quand tu y étais, plutôt qu’une image parfaite, et je pense qu’on a réussi à capturer ça.

Quelle chanson de l’album correspond le mieux à vos humeurs aujourd’hui ?

Kitty : C’est un album qui contient pas mal de colère, je ne suis pas très en colère aujourd’hui (rire) ! Je suis plutôt en paix.

John : Je pense que sur « Forever And Ever », la dernière chanson a un sens d’éternité quelque part. Je pense que c’est un peu comme fermer les volets le soir, et accepter qui tu es. Je suis en paix avec ce que je suis, et c’est OK parce qu’il y a au moins une personne qui me reconnais comme ce que je suis avec mes défauts. C’est une chanson d’amour pour vampire, avec quelque chose d’éternel. Donc je pense que cette chanson a un sentiment réconfortant pour moi, il n’y a pas l’angoisse du reste de l’album. Il y a un peu de paix dans cette chanson je pense.

Andy : Sinon il y a « Bodybag » pour commencer la fête (rire) !

Kitty : Ouais on va passer la soirée à Paris.

Andy : On va boire quelques bières (rire) !

John : Oui après cette interview on va se promener dans Paris donc ce sera peut-être un peu différent (rire) !

Vous avez fait beaucoup d’interviews ces deux derniers jours à Paris. Est-ce que ça veut dire qu’on vous verra bientôt ?

Kitty : Oui, on va revenir en février/mars pour un concert à Paris et peut-être d’autres villes en France, je ne suis pas sûre, mais on sera en Europe en février/mars pour une tournée en tête d’affiche.

Andy : Puis on aura les festivals l’été prochain aussi.

John : Les effets secondaires du Covid et du Brexit nous ont affecté jusque là, c’est compliqué en coulisses dans l’industrie de la musique, mais l’année prochaine les éléments devraient être alignés pour nous permettre de jouer le nombre de concerts qu’on a toujours voulu faire. Et évidemment, Paris étant une ville majeure, elle fera partie de cette tournée et on espère vraiment jouer à beaucoup d’endroits en France !

Andy : On a hâte de jouer en live, tous !

Kitty : C’est ce qu’on préfère.

Andy : C’est la raison pour laquelle on fait ça, sortir créer ce truc à ce moment donné…

Merci beaucoup pour cette interview, avez-vous quelques mots pour vos fans, pour la conclure ?

Kitty : Venez aux concerts, on veut vous rencontrer en personne !

John : Même si on est sur un label « major » nous avons toujours à cœur de rester un groupe indépendant, et on veut vraiment remercier nos fans d’être restés avec nous, et d’accepter qu’on n’est pas le groupe le plus grand du monde, et que parfois il faut un peu de patience pour être nos fans, mais on fait tout ce qu’on peut pour jouer un maximum de concerts. Et les concerts qu’on fera, on donnera tout. Et si vous vous sentez comme quelqu’un d’extérieur à la société, ou si vous êtes nerveux à l’idée de venir à un concert seul, on vous promet que si vous venez à un de nos concerts il y aura d’autres personnes comme vous, et que vous serez accueilli à bras ouverts ! 

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Retrouvez également SAINT AGNES en live le 06/02/2024 à Paris aux Etoiles ! Trouvez vos places par ici ou en cliquant l’image ci-dessous !