10.05.2024
Par Valentin POCHART
Photos : Paige Margulies (couverture), Danin Jacquay (photo présente dans l’article)
A tout juste 27 ans, Hannah Rose Collins, alias SCENE QUEEN, monte les échelons à une vitesse dingue, et elle a décidé de se payer la scène ! A grands coups de morceaux aussi drôles qu’acides, SCENE QUEEN nous envoie avec ‘Hot Singles In Your Area’ 15 morceaux addictifs dans la gueule en faisant tomber les barrières de style tout en dénonçant le patriarcat et une bonne partie des comportements toxiques de la scène emo et metalcore américaine. Nous avons pu la rencontrer à Paris le 10 mai dernier pour parler de cet album unique !
‘Hot Singles In Your Area’ sort le mois prochain, comment te sens-tu un mois avant la sortie ?
Scene Queen : J’ai l’impression que le fait de tourner m’a distraite du fait que ça sorte très très bientôt, donc je ne sais pas si je suis vraiment prête pour, car on a un autre single qui sort avant qu’il ne sorte vraiment. Donc je vais atterrir aux Etats-Unis et dans les deux jours qui suivent on va filmer un visuel pour ça, et prendre les photos pour la couverture du single, puis je vais à Los Angeles et on tournera un autre clip pour quand l’album sortira ! Donc je n’ai pas encore intégré le fait que ça va sortir, mais dès que je vais atterrir je vais me dire « oh OK c’est en train d’arriver » (rire) ! Mais j’ai trop hâte. Tu attends toute ta vie pour sortir ton premier album. Et parce que j’ai divisé ‘Bimbocore’, qui est techniquement un album, en deux EP, c’est le premier album complet que je sors donc j’ai très hâte !
Tu as eu une tournée difficile, d’ailleurs je crois !
Honnêtement, je crois que je me suis porté l’œil en disant qu’on n’a jamais eu tous les problèmes que les autres groupes ont tous eu depuis que je tourne. On n’a jamais de soucis de voyage, de véhicule, rien ! Donc on a tout eu sur cette tournée dans la même semaine (rire) ! Donc ça a l’air de faire beaucoup, mais si tu demandes à n’importe quel groupe ils ont 500 histoires à te raconter alors que j’en avais zéro (rire) ! Donc je paie enfin pour ça, mais honnêtement PVRIS sont les artistes les plus gentils avec qui on aurait pu tourner. Ils nous traitent si bien ! Rien que pour cette loge par exemple ! Dans cette salle ils ont 3 loges dont une très petite. Et évidemment avec mon équipe on n’a pas de bus, donc PVRIS ont dit « on va rester dans le bus, prenez la loge » ! C’est si inhabituel qu’un groupe fasse ça, et Lynn regarde notre concert tous les soirs, ce qui est dingue ! Je n’ai jamais vu un artiste faire ça. Donc s’il y avait un artiste avec qui tourner sur une tournée où tout se passe mal, c’est l’artiste qui te permettrait de garder la tête froide. Toute l’équipe nous traite super bien. En plus j’adore PVRIS, alors…
Tu as déjà sorti quelques singles de l’album, et il y a eu beaucoup de retours, à la fois positifs venant de gens ouverts d’esprit, et négatifs venant des puristes, ce qui est souvent bon signe (rire) !
Oui, je pense que ça ne vaut pas le coup de faire des choses qui n’ont aucune critique (rire) ! Donc le fait que les gens aient des opinions fortes sur quelque chose montre que c’est très polarisant, et que je fais quelque chose d’original, j’imagine.
Je trouve que cet album est un des trucs les plus punk que tu pouvais faire. Par exemple le morceau « 18+ », que j’adore, permet d’ouvrir la discussion sur le sujet de #metoo avec une chanson qui a eu un vrai impact. Et j’ai vu dans les commentaires de la vidéo que tu t’inquiétais un peu que cette chanson puisse réduire aussi le nombre de propositions de tournées que tu recevrais, par exemple. Un an après sa sortie, est-ce que c’est le cas ?
Honnêtement, je pense qu’au vu de mon historique de tournée, il y a encore des gens qui veulent aller dans ce sens. Mais évidemment, la majorité des gens qui m’ont emmenée en tournée sont des femmes, et j’ai aussi emmené d’autres femmes en tournée. Donc je pense qu’il y a ce truc d’entraide entre les femmes de la scène. On me demande souvent en interview si la misogynie s’en va car il y a beaucoup de groupes féminins ou de projets solos de femmes qui montent en ce moment, et je ne crois pas vraiment que ce soit le cas. Ce que je crois, c’est que les femmes ont collectivement décidé que personne n’allait le faire pour nous, et donc qu’il fallait qu’on le fasse en s’entraidant. Et maintenant elles se tirent mutuellement vers le haut. Par exemple cet été je vais faire une tournée en co-headline aux Etats-Unis, et la moitié des artistes sont des femmes, et l’autre moitié sont queer. C’est dingue car c’est techniquement un festival complet aux Etats-Unis ! Et rien que le fait que ce soit le type d’offres de tournées que je reçois, c’est tout ce que je pouvais espérer dans cette situation, tu vois ? Donc ouais je ne vais probablement pas avoir beaucoup d’offres avec beaucoup de mecs sur une affiche gigantesque, mais je ne sais pas si je les voudrais de toute façon, car je ne sais pas si mes fans voudraient être à ce genre de concerts.
J’ai beaucoup de chansons que j’ai adorées sur l’album, et justement en parlant de la scène, l’une d’elles est « Mutual Masturbation » !
Ouais c’est marrant parce que je ne l’ai pas sortie comme single car je n’étais pas sûre si les gens l’aimeraient (rire) ! Mais si tu traînes assez avec des musiciens en tournée tu comprends parfaitement à quel point c’est vraiment comme ça dans la vie, avec ce côté étrange des hommes dans le monde des tournées qui ont besoin de nourrir leurs egos. D’un autre côté, les femmes vont en tournée avec presque aucun ego dans le sens où, par exemple, si je vais dans une salle de concert, tout le monde pense que je suis celle qui va vendre du merch. Ou bien les gens vont croire qu’on n’est pas prêtes à faire le show, par exemple, Lynn (Gunn, de PVRIS, ndlr) joue évidemment de la guitare. Et je suis sûre qu’elle a un million d’histoires de mecs qui vont vouloir accorder sa guitare à sa place ou des trucs comme ça. C’est trop drôle car du coup on y va sans ego car on serait choquées chaque jour d’à quel point les gens nous sous-estiment ! Il fallait donc que j’écrive une chanson sur les trucs bizarres qui arrivent en tournée.
Et ça parle aussi beaucoup de cette mentalité de « mecs de fraternités » qu’il y a dans la scène !
Oui c’est carrément le cas ! C’est un club de mecs. Mais comme je te le disais, je suis heureuse d’être incluse dans ce petit club de filles que la scène a un peu créé, ce qui est super cool.
J’ai aussi beaucoup aimé le parallèle entre « BDSM » qui ouvre l’album et « Climax » qui est à la fin de celui-ci, parce qu’ils sont opposés en style, et parce que tu commences en disant « Scene Queen hates men », et que tu parles de ton copain sur la dernière comme étant l’exception.
Alors c’est le truc marrant que tu apprends au travers de l’album, c’est que je ne hais pas les hommes. Je déteste juste ce qu’ils font en groupe, et la mentalité qu’un groupe d’hommes a, surtout dans le monde des tournées. Mais l’album parle notamment de moi qui reprends en main ma sexualité et mon pouvoir, et c’est à peu près à ce moment-là que je suis devenue SCENE QUEEN, ou peut-être un peu avant. Et ça parle de tous les amis et ennemis que je me suis fait en chemin, en explorant ça à travers la musique. Et avoir cette dualité de devoir me protéger pour être dans la scène, et finalement trouver quelqu’un dans cette même scène qui se préoccupe autant de moi, c’est la beauté dans tout ça. Et je dirais que même si l’album s’appelle ‘Hot Singles In Your Area’, je finis par dire que c’est normal d’être vulnérable avec les gens aussi. J’ai écrit un album qui parle de ma vie de célibataire à Los Angeles, et je finis par parler de la chose la plus belle imaginable !
J’aime beaucoup le fait que tu commences par ça, parce que ça ouvre la conversation. Beaucoup de gens vont dire « pas tous les hommes » et des choses comme ça, mais la conclusion c’est qu’en tant qu’homme tu veux être l’exception.
C’est exactement ça, et si quelqu’un doute du sentiment que les hommes font des choses énervantes, c’est souvent que cette personne fait partie du problème. Et les gens qui ne sont pas dérangés par les paroles et rigolent avec moi sont souvent ceux qui comprennent ce que je dis.
J’adore aussi le côté RnB de certains morceaux comme « Amateur ». Est-ce que c’était naturel pour toi de mélanger les deux styles dans l’écriture ?
Eh bien si vous ne l’aviez pas deviné en écoutant « MILF », j’adore le fait que le « bimbocore » (le style de SCENE QUEEN, ndlr) n’ait aucune limite au niveau du genre. J’adore mélanger les sons. Mais honnêtement, je pense que cet album entier est juste une collection de tout ce que j’écoute. Et c’est le problème : j’écoute littéralement de tout (rire) ! Donc j’ai essayé d’incorporer autant de styles que possible, et autant de sous-genres dans le cadre du rock avec des guitares accordées graves dedans. Donc ouais, j’aime aussi parfois chanter mais j’adore aussi rapper (rire) donc je cherche des manières de faire les deux dans le même album ! Et c’est pour ça qu’il y a un contraste aussi net entre les chansons, mais j’aime ça comme ça, car tu ne sais jamais ce qui arrive ensuite.
En plus toutes tes paroles sont mémorables. J’ai l’impression que tu les travailles beaucoup pour arriver à ce résultat ?
Je pense que le truc principal que les gens retiennent c’est l’humour qui se retrouve partout dedans. Et je pense que c’est parce que quand tu me parles en personne, c’est très compliqué pour moi de rester vraiment sérieuse. Mais évidemment il y a beaucoup de choses qui doivent être dites dans la musique, et ma manière d’amener n’importe quel sujet sérieux, comme au cours d’une conversation, c’est à travers le prisme de l’humour et des blagues. Et ça se ressent dans ma musique. Mais honnêtement je pense qu’avec « 18+ » et tout, beaucoup de gens ont dit qu’il y a un problème avec la scène, et jour après jour sur Twitter, des gens se font « cancel », ça arrive tous les jours. Mais je pense que le fait que j’en aie parlé avec un côté humoristique a fait que les gens ne sont pas dit « j’en ai marre d’entendre parler de ça », mais plutôt quelque chose comme « wow, c’est un morceau qui dénonce mais c’est plutôt marrant en même temps ». Je pense que c’est ce qui le rend mémorable, d’avoir ces petites punchlines, parce que c’est le moyen le plus simple de faire ressortir ces sujets sérieux. Evidemment, « Pink Push-up Bra » n’a pas vraiment de vannes, mais je pense que les femmes sont les seules à avoir vraiment reçu cette chanson, quelque part, alors que « 18+ » a permis d’enfin embarquer des hommes dans cette conversation. Parce qu’ils se sont dit « elle ne fait pas peur, mais un peu quand même, mais elle rigole ».
D’ailleurs j’avais entendu parler de toi avant, mais quand tu avais fait la couverture de Metal Hammer, je me suis dit que c’était vraiment cool !
Oh la couverture à la BRITNEY SPEARS ! Ouais ça a énervé beaucoup de gens sans raison (rire) !
Oui utiliser du rose dans le milieu du metal est la chose la plus énervante que tu puisses faire aux puristes, et j’ai adoré que tu fasses ça (rire) !
Et parler de pop à côté du metal est trop drôle parce qu’ils s’énervent tellement ! Mais il fallait le faire. Et ils ont dit que c’était la couverture la plus rose qu’ils aient jamais faite. Ils n’avaient jamais fait de couverture totalement rose auparavant, je suis si heureuse d’être la première (rire) !
Quelle chanson de l’album correspond le mieux à ton humeur aujourd’hui ?
Je me sens plutôt bien sur cette tournée. C’est la première fois qu’on a été en première partie en un an et demi maintenant. Donc j’ai dû me remettre dans cet état d’esprit où je dois me montrer, et gagner le respect de ces gens. Je me sens comme le morceau « Amateur » aujourd’hui. Je me sens bien. C’est marrant parce qu’on a un peu repris « Pony » de GINUWINE dedans, dans la partie instrumentale, avec un peu le même genre d’instrument groovy. C’est comme ça que je me sens tous les jours.
J’ai aussi repéré quelques instrus plus hip hop qui m’ont rappelé HOLLYWOOD UNDEAD par exemple.
Oui, carrément. Avant que je commence à écrire, quand j’avais emménagé à Los Angeles, j’essayais d’entrer dans la scène rock, mais c’était en 2015 et tous ces groupes ont commencé à se faire « cancel ». Donc au départ j’ai écrit du hip hop parce que c’était le seul moyen de gagner de l’argent à ce moment-là où la scène s’écroulait un peu sur elle-même. J’ai donc fait ça, puis je suis revenue au rock juste avant la pandémie. Je pense que ça a marché en ma faveur, parce que je combine les deux et j’adore les parties rythmiques du hip hop, ainsi que ces refrains très rapides et très entraînants. Je sens parfois que je suis un peu déconnectée de la musique metal moderne quand les refrains sont super longs, parce que j’ai la capacité d’attention d’un bébé, à force d’aller trop sur internet (rire) ! Donc avoir ces refrains super rapide un peu comme des hymnes avec des accroches fortes, et mélanger tout ça avec des guitares metal, c’est un peu où en est mon cerveau.
Tu viens de jouer à Paris avec PVRIS, mais est-ce qu’on peut attendre un retour en tête d’affiche bientôt ?
Je veux faire une tournée en tête d’affiche dès que possible. Cette tournée, c’est un peu ma manière de prendre la température en Europe pour voir si les retours sont bons, et je sens qu’ils le sont assez pour que je revienne. Donc en 2025 idéalement, je vais revenir !