A l’occasion de leur concert à Toulouse le 28 octobre, rencontre avec Sam (voix) et Olivier (guitare) de Point Mort, pour évoquer le premier album du groupe, « Pointless… », sorti en avril 2022.
Carole : Salut et merci de prendre du temps pour moi. Pouvez-vous me refaire un peu l’historique du groupe, sachant que « Pointless… » est votre premier album après deux EP déjà ?
Olivier : En fait la génèse de Point Mort remonte à avant 2015, j’étais en stand by sur mon précédent projet, et ma chère et tendre m’a incité à rencontrer d’autres musiciens. J’ai connu Damien et Yannick (qui n’est plus dans le groupe maintenant), et on a commencé à composer ce qui allait devenir l’EP « Look at the Sky » (sorti en 2017 – NDLR). On voulait une vocaliste, et c’est Yannick qui a répondu à l’annonce de Sam qui de son côté cherchait un groupe.
Sam : C’est ça. Je cherchais un groupe et je n’arrivais pas à trouver. Il y a une dizaine d’années, quand tu te présentais comme une fille qui veut hurler, ce n’était pas forcément bien accueilli, parce que c’est marqué en termes de timbre de voix, même si je pense que ça a évolué depuis. Du coup, j’ai pris le problème à l’envers et au lieu de répondre à des annonces, pour me présenter à des auditions, que je bosse et qu’à la fin on me dise « non », j’ai créé mon annonce en listant ce que je voulais faire, et Yannick est tombé dessus.
Olivier : On a fait des essais, et au bout de six mois, Sam ne savait toujours pas si c’était validé, alors que pour nous, c’était évident (rires). En termes de communication, on n’est pas toujours au top (rires). C’est encore valable aujourd’hui, mais c’est peut-être aussi pour ça qu’on arrive à cette musique un peu écorchée, sans forcément dire « authentique », parce que c’est un peu prétentieux, c’est à fleur de peau. De dire « je t’aime bien, on reste ensemble », ce n’est pas un truc qui est naturel pour nous.
Carole : Je vois (rires). Et du coup, Sam est restée… et ensuite ?
Olivier : Et bien ensuite, comme c’est souvent le cas avec Point Mort, où tout est toujours affaire d’opportunités, nous avons eu la possibilité d’enregistrer l’EP « Look at the Sky » parce qu’un ami avait eu une annulation de session d’enregistrement studio (le batteur de l’autre groupe s’était cassé le bras), et du coup, on y est allés en étant semi-prêts. On a posé les micros le samedi, on avait un concert le samedi soir, et on a fait l’enregistrement le dimanche en une après-midi. C’était un exercice casse-gueule mais très formateur. Et ça a été le point de départ de pourquoi on veut enregistrer en live, les cinq ensemble dans le studio, ce qu’on a fait sur « R(h)ope » (EP sorti en 2019 – NDLR) et à nouveau sur « Pointless… ». A l’époque de « R(h)ope », Simon avait déjà remplacé Yannick à la batterie, nous avions eu l’opportunité de faire une tournée à Cuba avec lui (au départ, il devait juste nous dépanner et puis il est resté finalement). Simon nous a peut-être amenés dans une direction plus violente et plus agressive, lui qui est très en impact, pour aller vers quelque chose de plus massif.
Carole : Justement, au niveau du style musical, et au-delà de vouloir coller une étiquette, est-ce que vous vous reconnaissez dans un style en particulier ou vous vous laissez porter vers là où le son vous emmène ?
Olivier : Non, t’as tout compris, les gens ont besoin d’avoir un point de repère, mais nous ne nous posons pas autant de questions. Hier, l’affiche de notre concert à Montpellier parlait de « post metal dissident », et le mot « dissident » m’a paru parfait, et j’ai découvert qu’en fait, c’est Sam qui l’a utilisé dans les premiers dossiers de presse qu’elle avait préparés.
Sam : Oui, ça remonte à la toute première bio que j’avais faite. On met le terme « post metal » pour que ça donne une référence aux gens, qu’ils sachent qu’on ne fait clairement pas du trash par exemple.
Olivier : Et mon côté un peu dyslexique me fait rapprocher le mot « dissident » du mot « dissonant » et dans la musique, le terme « dissonant », ça me parle totalement. Après, on fait clairement du metal, on a besoin de ce côté « impact », même si on aime les mélodies aussi. Perso, je déteste les synthés, alors que Sam, Simon et Damien adorent ça, donc on ne s’interdit rien. Par exemple, Simon a mis une nappe de synthé sur le dernier morceau de l’album, il m’a dit « je sais que tu n’aimes pas », mais même si je n’aime pas, effectivement, ça marche sur ce morceau, et on l’a gardé. Si ça sert le morceau, on va le faire, et c’est ça qui est intéressant.
Carole : J’en viens à l’écoute de l’album, « Pointless… » et ce qui m’a frappée c’est que votre son est très riche, on sent beaucoup de travail avec des éléments qui se découvrent à chaque nouvelle écoute, et en même temps, vous avez un son très émotionnel…
Olivier : T’as résumé parfaitement tout, c’est exactement ce qu’on a voulu faire. Nous, on est ravis d’avoir ce retour-là, quand les gens arrivent à sentir le côté « fouille-merde » sur chaque détail, et en même temps l’envie de ne pas perdre la narration, l’émotion. On ne voulait pas que ça se perde dans un truc technico-technique non plus. J’ai tendance à dire que l’album n’est pas composé de huit morceaux, mais d’un seul morceau de 53 minutes, pensé en fil rouge, de tableau en tableau. Après, je suis quelqu’un qui a besoin d’être canalisé pour ne pas que ça parte dans tous les sens, et c’est là que d’être tous ensemble apporte un équilibre. On peut alors prendre le temps, développer. Sur « Pointless… », on a en plus pris le temps de faire des pré-prods sur trois jours avec Amaury (Sauvé, ingénieur du son – NDLR) pour avoir une première version de l’album, sur laquelle on a ensuite pris le temps de revenir et retravailler tous les problèmes qu’on a pu détecter sur les morceaux, ce qui a amené une autre lecture, sans que ça ne devienne indigeste pour autant.
Carole : Je ne vous cache pas qu’il y a des passages qu’il me tarde d’entendre en live ce soir (rires). Comment ça se passe pour la compo, et les textes ?
Sam : En général, les morceaux arrivent en répète avec déjà un « squelette » de structure en fonction d’idées de riffs par exemple. Ensuite, je réfléchis pendant que les gars jouent, je pense à des sonorités, à des débuts de mélodies, et je travaille de mon côté. Mais ensuite, mes idées peuvent amener d’autres ajustements ou de nouvelles idées pour faire évoluer le chant, l’emmener vers ce qui sera sa forme finale. Notre processus est très collaboratif même si je suis de fait la seule à m’occuper des textes.
Carole : Je tiens à saluer le travail de la voix, qui pour moi est traitée comme un instrument à part entière, avec une recherche en adaptation rythmique, un découpage des sons ou des syllabes, qui rendent un effet encore plus riche à vos compos.
Olivier : Et bien voilà ! Cela fait des années que Sam explique qu’elle se sent « vocaliste », instrumentiste, au même titre que les guitares par exemple. Dans le groupe il y a cinq instruments qui ont des choses à raconter et qui prennent leur place au fur et à mesure. Au début même, sur les premiers concerts, elle se plaçait plutôt sur le côté…
Sam : Oui, j’avais envie qu’on soit tous sur un rang d’égalité, sur scène, ou même sur les photos, pour sortir de cette mise en avant systématique du chanteur dans la plupart des groupes en général. Je n’aimais pas trop ça mais du coup, j’ai eu tendance à me mettre un peu en arrière, ce qui ne marchait pas du tout. Je me suis recentrée sur scène, mais sans être en avant, on essaie dès que possible de jouer plutôt sur la même ligne.
Quand on a travaillé sur le mixage d’ailleurs, j’imaginais une voix plus fondue dans le mix, je ne voulais pas qu’elle soit trop mise en avant. C’est Amaury qui a trouvé la juste place de la voix, pour qu’encore une fois, elle ne soit pas forcément mise en avant, mais qu’elle soit présente aussi. Et pour « Pointless… », il y a finalement un équilibre qui s’est créé entre le chant hurlé (qui était ce que je pensais faire majoritairement quand j’ai intégré Point Mort), et le chant clair, que j’accepte maintenant d’utiliser quand les instrus le demandent, et que j’apprécie de plus en plus de travailler. C’est un parti pris, parce que le chant clair peut être vite clivant dans le metal mais aujourd’hui, c’est essentiel dans ce que nous faisons, et on verra selon ce qu’on fera demain.
Pour revenir sur la question des textes, effectivement j’accorde beaucoup d’importance au rythme, la voix est un instrument comme un autre, même si elle porte en plus le discours. Le rythme n’est pas la chose la plus facile au chant, c’est une de mes difficultés, mais je trouve, par exemple, le hip-hop assez impressionnant et j’ai des envies par rapport à ça, d’arriver à des débits encore plus forts. En plus quand j’écris, j’en mets des tartines et du coup, ça induit un débit rapide pour rentrer les mots dans un espace imparti (rires).
Carole : En écoutant les textes, il y a vraiment un côté « poésie mise en musique » avec des jeux sur les sons, sur le fait de juxtaposer deux à trois mots pour suggérer une idée ou une ambiance…
Sam (à Olivier – NDLR) : C’est complètement ça, elle est effrayante (rires).
Carole : J’ai bien senti le côté « spleen » du poète aussi, et belle surprise, tu as utilisé à la fois des textes en anglais et en français, peux-tu m’en dire plus ?
Sam : Et bien à l’écoute de l’instru, dans ma tête, j’entendais du français. Souvent, je suis frustrée de ne pas parler plus de langues… Je « parlotte » un peu espagnol et italien, et j’aimerais bien écrire dans d’autres langues. Par exemple, dernièrement, il y a une ébauche de morceau où j’aurais bien chanté dans une langue type suédois ou norvégien. J’entends Björk dans ma tête. L’espagnol n’est pas exclu. J’ai un ami qui parle bien espagnol et peut-être que je ferai appel à lui. Quand on a tourné à Cuba, on avait la chanson « Laberinto », j’en avais traduit la fin en espagnol, et ça marchait super bien. Après, c’est beaucoup de travail pour ne pas écrire n’importe quoi, dans une langue qui n’est pas ma langue natale. En anglais déjà, j’ai tout fait relire par une anglaise, et elle m’a tout récité pour que je sois sûre de la prononciation, même si ayant vécu en Angleterre je ne pars pas de zéro.
Carole : Sur le fond maintenant, vos textes sont métaphoriques, est-ce que c’est un parti pris pour laisser à chacun sa propre interprétation ?
Sam : Oui, je préfère. Souvent je parle de sujets qui sont plutôt personnels ou qui me touchent. Du coup, comme c’est quand même mon opinion, je préfère que ce soit sous couvert, et que chacun fasse sa propre lecture. Cela devient une démarche personnelle pour la personne qui écoute, et je trouve ça mieux.
Carole : J’ai trouvé très malin le jeu de mots, de sonorités, dans « Corners » où on pourrait imaginer des pensées étourdissantes, qui s’entrechoquent. Et pour moi, le morceau le plus intense est celui qui clôture l’album, « Ash to Ashes. » qui déploie de nombreuses facettes.
Sam : Souvent, on désigne « In Cold Blood » comme le morceau qui peut être représentatif de ce qu’on propose, mais « Ash to Ashes. » est le morceau le plus introspectif de l’album, pour moi. Bien sûr, je n’aurais pas exploré ces émotions et le chant n’aurait pas pu autant se déployer si l’instru n’avait pas été aussi puissante au départ. Il y a vraiment une sorte de climax dans ce morceau.
Olivier : Ce qui s’est passé pour « Ash… », c’est que je sortais de l’enregistrement de « R(h)ope » qui a été très éprouvant pour nous tous. D’ailleurs, à la fin de « R(h)ope », tu peux m’entendre claquer la porte à la toute fin du dernier titre, de rage, de frustration… Et c’est à ce moment-là que j’ai travaillé sur « Ash to ashes ». Je pense que je l’ai écrit quasiment d’une traite, même si après tout le monde est intervenu sur le morceau. La trame était là, et c’était vraiment salvateur pour moi. Le climax n’était pas positif au début. Quand Sam a posé sa voix, Aurélien a eu une idée de mélodie, et la fin s’est ouverte. Ma vision de la fin du morceau était « je t’achève ». Il n’y avait pas ce côté cathartique, que Sam a amené sur la voix, et c’était plus court. On a rajouté facilement deux à trois minutes là où je m’étais arrêté. Eux sont arrivés et en s’appropriant le morceau, ils ont fait évoluer la fin, et à mon côté « fin du monde, on va tous crever », ils ont apporté une nouvelle direction qui a remodelé un morceau qui devait être tout sauf positif à la base.
Sam : Après il n’y a pas de scission pour autant, le morceau parle quand même de la mort, la fin reste inéluctable.
Carole : L’album s’appelle « Pointless… » et pour moi, il est tout sauf « inutile », donc pourquoi ce choix de titre ?
Sam : Tout est dans les « … » derrière le mot. C’est négatif, c’est « à quoi bon ? » mais on laisse une ouverture avec les trois petits points. C’est pour ça aussi qu’il y a un point final à « Ash to Ashes. », parce qu’il y a toujours un point final mais en même temps, il faut vivre. On aura tous un point final à notre vie, personne n’est allé au delà, et donc soit tu décides d’abandonner dès le départ, soit tu décides d’essayer un peu. C’est « pointless » mais « … ».
Carole : Sur une note plus enjouée, vous avez participé au Hellfest, est-ce que ça vous a donné un coup de boost pour la tournée ?
Sam : Carrément ! On a des gens qui viennent nous voir sur la tournée, parce qu’ils ont bien aimé notre set au Hellfest, ou au contraire, parce qu’ils n’ont pas pu nous y voir et qu’ils nous ont découverts par le replay ensuite, c’est super !
Olivier : Et en plus, ils ne sont pas déçus (rires). C’est génial pour un petit groupe comme nous ! On a Xavier qui est venu de Rennes pour nous voir à Paris, on a un suisse qui est venu nous voir à Montpellier, on a des gens de Marseille qui se sont déplacés jusqu’à Toulon… À l’heure où c’est un vrai budget pour se déplacer, ça nous touche et ça nous donne une énergie folle. Et ça nous rend humble.
Sam : Et puis, on se reconnaît aussi. Olivier avait suivi toute la tournée européenne de Dillinger ; moi, quand Julie Christmas tournait pour Mariner, il y avait peu de dates en Belgique, donc j’avais été jusqu’à Lausanne, et se dire qu’aujourd’hui il y a des gens prêts à faire la même chose pour nous, c’est trop cool !! Pareil pour les gens qui viennent nous remercier à la fin des concerts, c’est génial. Et certains commencent maintenant à connaître les textes, ça me fait hyper bizarre !
Olivier : Et tu as ceux qui disent que notre musique leur a fait du bien. Il faudrait voir si on ne peut pas demander une prise en charge par la sécu (rires).
Carole : Quelles sont vos prochaines actualités pour terminer ?
Sam : Alors nous avons commencé à travailler sur de nouveaux morceaux, mais surtout nous avons une 2e partie de tournée qui arrive en avril 2023, avec Clegane et Convulsif (groupe Suisse avec qui nous avons bien accroché pendant la tournée cubaine). On avait envie de faire une affiche un peu atypique : Clegane, c’est du doom / grunge et Convulsif, c’est une sorte de noise drone avec des instruments atypiques (clarinette, violon électrique…). On voulait s’entourer de gens qu’on aime bien et qui proposent quelque chose de pas conventionnel.
Olivier : Et qui défonce tout en plus (rires). Après pour la compo, on a envie de prendre le temps aussi, le but n’est pas de refaire un « Pointless… ». On a d’autres envies, on veut tester d’autres choses, et on s’est enrichis de l’expérience de la scène, ce qui influence aussi le processus d’écriture. On ne sait pas où on va, mais on n’a pas non plus la peur de la page blanche, ni une quelconque pression marketing, vu qu’on ne s’impose aucun code.
Le soir même de cette interview, j’ai pu assister au concert de Point Mort à la Cave à Rock, à Toulouse. Comme son nom l’indique, cette salle de concert se trouve dans la cave du bar du même nom, et sa scène se trouve au niveau du public. Il y fait très chaud déjà quand Point Mort prend place. Sam allume quelques bâtonnets d’encens, et Simon actionne la machine à fumée généreusement. En même temps, les lumières vont accompagner les différents morceaux, pour nous immerger entre blancheur d’ectoplasme et lueurs flamboyantes, comme pour nous guider entre passages planants et instants violents. Les têtes bougent en rythme, les corps s’animent et s’entremêlent, la moiteur nous enveloppe autant que les odeurs, et la musique nous emporte crescendo jusqu’à nous mener en semi-transe carthartique, accompagnée des hurlements viscéraux de Sam. Lorsque la musique s’arrête, que les derniers applaudissements cessent et que la lumière revient, j’ai la sensation d’avoir vécu une expérience multi-sensorielle très forte et je réalise le déploiement pris par la musique de Point Mort dans cette performance artistique qui restera marquante. Il me tarde déjà de les retrouver en 2023 pour une nouvelle introspection « en impact » !