LA NÉBULEUSE D’HIMA
29.01.2022
Faustine : Nous sommes tout à vous, vous êtes notre première interview, mais quand je dis la première de première, c’est qu’on n’en a jamais fait tous les quatre.
Interviewer 1 : Nous sommes très heureux de pouvoir partager cette première interview avec vous. La Nébuleuse d’Hima a un style unique qui mélange pas mal de genres. Chaque membre amène un élément musical assez différent des autres. Quel est le processus de composition ? Je sais que Maxime, tu es arrivé il y a peu de temps dans le groupe, est-ce que tu as fait partie de la composition de l’album ?
Maxime : Non.
Bro’Lee : Alors il dit non, mais si. Il y a plein de sources en fait, quelqu’un arrive avec une idée, on la passe à un autre qui va développer quelque chose dessus, les sons vont s’assembler, petit à petit, on fait un petit peu le tri et puis voilà, on a un morceau à la fin. Ça, c’est vraiment pour résumer rapidement.
Maxime : En fait, les maquettes sont faites sur ordi donc du coup, la batterie, quand tu mets un vrai gars derrière, déjà y a des trucs pas possibles, parce que Bro’Lee pense que j’ai cinq bras (rire), et des trucs qui ne sont pas humains donc tu corriges, mais ce n’est pas vraiment de la compo.
Bro’Lee : Ouais, mais si, parce que tu as rajouté tout ce qui était groove, les roulements, donc de manière de composer certains trucs que moi j’avais faits à l’ordinateur. Mais en fait, souvent quand je compose, je fais : « Bon là, je fais des trucs simples à l’ordi et Max, il trouvera quoi », tu vois ? (rire) C’est un peu ça et au final, c’est ultra participatif parce que sur certains morceaux, je suis arrivé avec une idée de base et après Balré rajoute des trucs qui changent le morceau. Toi (en direction de Maxime), tu vas mettre autre chose qui va le changer aussi. Du coup, derrière je vais reprendre et adapter parce que l’idée est bonne, donc je vais l’intégrer et changer le truc pour la mettre en avant.
Maxime : Et puis ça arrive aussi souvent qu’en live, quand on joue les morceaux en répèt’ ou quoi, il se passe quelque chose, parce que j’aime bien tester plein de choses qui ne serviront peut-être pas. Parfois, il (Bro’Lee) se retourne, je fais : « Ah merde, j’ai fait un truc. » Et il me répond : « Nan, ça, c’était bien ! »
Faustine : En dehors de ça, de toute façon, quel que soit les EP, la base de comment ça se compose, c’est qu’avant d’être un collectif artistique pluridisciplinaire, c’est un collectif musical. Là par exemple, on est quatre avec trois compositeurs sur l’album, mais il y en a six autres qui sont derrière sur l’album qui va sortir (La Guerre des Rois), et sur les deux EP ça a été la même, entre dix et quinze personnes. La base même du truc, c’était que je voulais recréer un groupe et je suis allée chercher tous les gens avec qui j’avais tourné avant, les groupes s’étaient croisés ; donc avec Bro’Lee que je connaissais depuis mille ans avant de monter LNH, Audrey Henry qui venait de Nehr, DJ Westerly de Keryah, et ça a commencé comme ça. Le premier EP c’est un laboratoire de ça, c’est-à-dire : qu’est-ce que ça fait quand Bro’Lee, qui est vraiment dans un univers metal, compose le morceau, mais que tu donnes la prod à un mec comme ToBy Screamer qui fait de l’électro ‘‘paillettes’’. Après les choses se sont affinées au fur et à mesure des EP.
Bro’Lee : Il y a toujours le petit défi de « Regarde, j’ai fait ça, vas-y, trouve quelque chose là-dessus. », Balré l’a fait, sur le morceau La Guerre des Rois. Il est arrivé avec une construction très hip-hop et j’ai dit : « Vas-y, je la prends et je vais la retourner dans un autre truc », du coup j’ai fait un truc, et il a trouvé autre chose à mettre dessus, et le morceau a évolué comme ça.
Balré : C’est vrai que, par exemple, pour La Guerre des Rois, je pars sur quelque chose de très hip-hop parce que c’est mon truc. Après, ce que Bro rajoute derrière, ce n’est pas du tout ce que j’aurais fait, évidemment, et c’est ça l’intérêt, je pense, du collectif ; c’est aussi l’intérêt pour nous, de lâcher, de ne pas se dire que ce n’est pas notre style, que justement chacun met sa dose et jamais je n’aurais imaginé faire ça en refrain.
Bro’Lee : Comme t’as dit (en regardant Interviewer 1), chacun amène un truc différent parce qu’on vient d’univers différents, ce qui fait qu’au final ça donne ce qu’on fait. Comme disait Faustine, les deux EP étaient des gros laboratoires et on a continué avec cette philosophie sur l’album.
Faustine : Ouais et ça se greffe vachement aussi à l’émotionnel, tout ce qui est né après, de notre musique, c’est basé sur la réaction du corps face à la musique. Et, quel que soit ce que tu écoutes, ton corps n’est pas perpétuellement dans la même émotion et dans la même énergie et, même au sein du concert, on met un point d’honneur à ce que ça suive. Pour moi, un concert, comme celui qu’on va faire ce soir par exemple, c’est comme un corps humain qui traverse toute une flopée d’émotions et d’énergies.
Bro’Lee : Et notre problème, c’est de gérer cette énergie pour que les gens soient accrochés tout le temps et qu’il se passe toujours quelque chose, comme dans un film, tu mets toujours des scènes et des blagues au bon moment pour que ça soit percutant, et notre travail c’est un peu ça, je trouve, de gérer l’énergie. En tout cas, c’est comme ça que je compose la musique, gérer l’énergie du début à la fin.
Faustine : Nan, mais c’est comme ça et c’est pour ça qu’on ne peut pas être autre chose qu’un groupe de fusion. Moi je sais que dans le répertoire, plus on va aller faire un morceau méga-vénère, plus je vais appréhender le fait que le morceau d’après, il va falloir qu’il ait une autre dimension, même des fois une autre énergie.
Bro’Lee : Sur Les Âmes Crécelles, j’arrive avec un morceau qui est très violent finalement et toi (en direction de Faustine), qu’est-ce que tu as fait dessus ? Toi, au lieu de crier ou de rapper, t’as chanté dessus, c’est ce qui a changé le morceau et qui lui a donné vraiment du caractère, pas juste un morceau de bourrin, mais de fusion où il y a vraiment les deux dessus, il y a le metal, il y a l’électro et aussi un truc chanté dessus, qui à la base, tu te dis que ça n’a pas sa place dessus, mais finalement ça fonctionne.
Interviewer 2 : C’est intéressant, mais du coup, c’est marrant d’arriver avec un tel processus de création, à avoir un style reconnaissable immédiatement. Nous avons pu écouter l’album avant sa sortie, et je trouve que c’est hyper reconnaissable. L’ajout du batteur au groupe apporte beaucoup.
Bro’Lee : Je suis d’accord, ça change les compos, ouais.
Interviewer 2 : Plein de groupes aujourd’hui créent sur Pro Tools, tout le monde fait son petit truc, on met les couches, et comme tu dis (en se tournant vers Maxime), le batteur, parfois, écoute et dit : « Merde, oula, c’est quoi que t’as inventé là ? »
Bro’Lee : Et du coup, il faut savoir se servir de ça.
Interviewer 2 : Oui, en tout cas, il y a un son à la La Nébuleuse d’Hima et ça raconte une histoire.
Faustine : La dimension de fusion aussi, l’aboutissement de ça, c’est qu’à un moment donné, t’es quand même censé raconter des histoires, et que tu ne relates pas tout le temps, perpétuellement, la même histoire, et que du coup, ta musique et les intensités que tu choisis, elles sont au rythme de ce que tu vas raconter.
Interviewer 2 : L’album est plus brut que les EP.
Faustine : Ouais.
Bro’Lee : Ça sort des tripes.
Interviewer 2 : Ouais, là on dirait qu’il fallait que ça sorte.
Bro’Lee : Ouais, y a de ça. Moi je trouve qu’on a le côté organique rajouté, mélangé à des trucs qui étaient très électros, en fait, ça a donné plus de corps et de cœur.
Faustine : Alors il y a eu ça, et après, parce que je suis hyper transparente, c’est un album qui a été très compliqué pour certains. Moi perso sur les quinze albums que j’ai faits dans ma vie c’est le plus rude, on a mis sept ans…
Bro’Lee : Le plus dur à faire, ouais.
Faustine : … il y a eu des phases d’arrêt et du coup, j’ai été la première surprise, mais il y a eu des phases tellement descendantes dans la composition de cet album.
Bro’Lee : Et puis il s’est passé des choses dans le monde aussi, qui ont fait que.
Faustine : La vibe définitive qu’il a eu, c’est une vibe qui est hyper offensive, mais c’était presque par besoin. Voilà, c’est l’accumulation de plusieurs années qu’il faut cracher.
Bro’Lee : Tu l’avais qualifié d’insurrectionnel, il n’y a pas longtemps, et je trouve que c’est vraiment ça. Je pense qu’il y avait besoin de dire : « Merde, c’est bon ! C’est en train de partir en couille, vas-y quoi. »
Faustine : Ouais, c’est tout droit et maintenant il faut mettre des points à ses phrases.
Interviewer 1 : Ça vous fait quoi de revenir en studio, de pouvoir offrir de la nouveauté à vos fans après sept ans ? Sachant que la covid a décalé, il me semble, deux fois la sortie de l’album ?
Faustine : Non, une fois, parce que quand le truc est tombé, j’ai dit d’entrée de jeu : « On décale minimum d’un an. C’est mort, là on va se taper des montées descentes tous les quatre mois, on va en chier. » En fait, on n’a pas beaucoup douillé dans notre travail, à part l’impatience.
Bro’Lee : Ouais, voilà, c’est ça.
Faustine : On a eu de la chance, la covid est tombée, l’album partait au mix. Et on a été assez vite dans la résilience qui est « Bon ben en fait, c’est comme ça et on va prendre le temps. Ça ne sert à rien de se vénère. »
Bro’Lee : Ça nous a donné du temps et au lieu de se prendre la tête, on s’est dit : « On prend le temps, on va le faire bien. Du coup, on va aller voir les détails, on va prendre le temps de le produire correctement et voilà. »
Faustine : Ça ne sert à rien de se vénère et puis, assez vite j’ai dit : « Qu’on le sorte dans six mois ou dans un an, c’est exactement la même chose. » Mais après, dans les sept ans, moi je n’ai pas la sensation d’avoir chômé, on a bourriné un certain nombre de trucs.
Bro’Lee : Oui, on a fait d’autres choses.
Faustine : On a développé Nébula, elle est née, quelque part, de notre lenteur. On a été vachement dans l’évènementiel, bizarrement.
Bro’Lee : On a essayé d’autres formes pour faire de la musique.
Faustine : En fait, on a joué à trois, La Nébuleuse d’Hima pendant trois quatre ans, ça a fait de l’évènementiel en créant la troupe (Nébula). Du coup, on se retrouvait en concert tous les trois dans des formules ultra DJ.
Bro’Lee : Un peu DJ set, ouais.
Balré : Et dans des endroits totalement différents, que ce soit des conventions de tatouages ou en prison, par exemple. Les interventions de concert en prison, c’était hyper riche, parce que ça nous a permis de jouer dans des endroits qui n’ont rien à voir.
Faustine : Ouais, avec Nébula, mine de rien, on a créé des performances scéniques dans lesquels on intervenait, en fait, on a quand même buché comme des enc*lés. C’est juste que, j’ai même envie de dire que c’est parce qu’à un moment, on a senti que l’album allait prendre plus de temps, qu’il faudrait plus de temps. Il y a eu une phase où pendant un an, on a arrêté la promo de cet album, et en fait, ça nous a vraiment permis de rester vivants. Donc, moi perso, y a pas de pause pendant ces sept put*in d’années, y a d’autres formes.
Bro’Lee : Pour revenir à ta question, je suis très pressé, très impatient que les gens écoutent cet album. Je suis encore excité pour le truc, voilà, faut pas que ça retombe, et comme la covid est en train de tout ralentir, il faut rester patient, mais ouais, j’ai envie que les gens l’écoutent et viennent le découvrir aussi sur scène.
Interviewer 2 : Ouais, c’est la partie vivante du truc, quoi.
Faustine : Ouais et puis cette sensation de devoir à un moment sortir de cette boucle »spatio-temporelle » où t’as l’impression que t’es coincé dans une boucle où tu vas sortir l’album.
Bro’Lee : Ouais, c’est ça.
Faustine : Et encore, je dis ça, on n’est pas un groupe qui l’a méga subi, tu sais, les annulations de tournée, les gens qui ont décalé quatre fois leur sortie… mais c’est vrai que t’as un peu l’impression d’être quand même bloqué genre à vie, en mode : on va bientôt sortir cet album.
Bro’Lee : Voilà, c’est ça. Donc là, c’est impatience, c’est ça le maître mot, là je pense qu’on est vraiment tous impatients.
Interviewer 2 : Je pense que Faustine a envie de le défendre sur scène aussi, et de ressentir, tu disais tout à l’heure qu’il y a un truc physique, bon bah là ce soir, ce n’est pas encore le top, mais quand physiquement t’es sur scène et qu’il y a un truc qui te revient devant, c’est aussi pour ça qu’on fait de la musique en général. Ce n’est pas une baston, mais bon, quand même, faut y aller.
Bro’Lee : Comme tu dis, il faut garder la rage, l’énergie, faut avoir envie d’y aller et défendre ce que tu fais.
Interviewer 2 : Je pense que quand tu fais un disque, l’étape de création c’est bien, mais il faut derrière aussi l’impatience d’y aller.
Bro’Lee : En gros, on le fait pour ça le disque. Je pense qu’on est comme ça, on le fait pour monter sur scène.
Interviewer 2 : Ça se ressent que c’est des morceaux de live.
Bro’Lee : De partage, pour moi, c’est plutôt ça le truc.
Interviewer 1 : L’équilibre entre anglais et français n’est pas vraiment au rendez-vous dans l’album. Faustine, tu as écrit tous les textes de l’album, qu’est-ce qui t’a décidé sur la langue à utiliser ?
Faustine : Et bah en fait, c’est comme d’habitude sauf que là, c’est tombé comme ça, ça dépend énormément de la thématique et de l’instru. En fait, ça dépend complètement des mélodies de chant, soit elles m’envoient dans le français soit dans l’anglais et celui-là, ça a fait 20-80. L’équilibre aussi n’est pas le même parce que les EP, c’est des six titres et là, forcément sur onze titres, c’est plus criant, mais voilà, c’est tombé comme ça, cet album était majoritairement anglophone.
Interviewer 2 : Parce que t’as senti que ça sonnait mieux comme ça, ou c’est juste que tu as écrit en anglais d’emblée ?
Faustine : Non, c’est purement sensitif. Le morceau se construit et je n’ai même pas, en général, besoin de me poser la question, je sais à l’avance. Les mélodies, elles commencent à arriver avec des mots et là, ça se grave tout de suite si ça va être anglais ou français.
Bro’Lee : On n’a jamais fait un morceau avec les deux, genre le refrain en anglais et le couplet en français.
Faustine : Ah non, j’ai horreur de ça, ça pue la m*rde.
Bro’Lee : C’est vrai ?
Faustine : Ah, c’est nul.
Bro’Lee : Bon OK, voilà, révélation. (rire)
Interviewer 1 : On sait que ça n’arrivera pas.
Bro’Lee : (rire) Apparemment. Nan, mais si, on en reparle dans quelques années. (rire après un regard réprobateur de Faustine)
Faustine : Mais l’album d’après pourrait être complètement l’inverse.
Interviewer 2 : Dans les descriptions que j’ai vues, souvent les détails parlent de Nu metal (Korn, Limp Bizkit), mais je ne ressens pas cette influence.
Bro’Lee : En vrai, on est de la fusion. Nu metal, c’est une grosse étiquette.
Faustine : On nous a comparés à Shaka Ponk, il n’y a pas longtemps. (regard choqué des deux interviewers) Il y a des gens qui vont te dire que ce n’est pas de la fusion.
Bro’Lee : En vrai, c’est compliqué, on ne met pas d’étiquette, on a déjà du mal à définir, tu vois, quand les gens viennent nous voir et demandent : « Qu’est-ce que vous faites pour qu’on le mette dans la plaquette et tout ? » On répond fusion parce qu’en réalité, c’est ça. C’est ce que faisait Rage Against the Machine quand ils sont arrivés, c’était de la fusion quoi.
Faustine : Mais non, ça ne leur suffit pas, tu fais : « Bah, fusion. »
Bro’Lee : Fusion metal, si tu veux.
Interviewer 2 : C’est intéressant de mixer. Bon, de mettre un DJ c’est plutôt banal maintenant, ça se fait beaucoup, mais dans Limp Bizkit par exemple, DJ Lethal quand il est parti, on a vu tout de suite la différence, on voit l’influence du DJ.
Bro’Lee : Il fait vraiment partie du son.
Interviewer 2 : Oui, il est là, il n’est pas là, tu vois tout de suite la différence, c’est comme le guitariste Wes Borland, quand il n’est plus là, c’est fini.
Balré : DJ Lethal joue vraiment en live, il fait vraiment son taf. Quand il monte sur scène, il n’est pas là pour juste faire de la figuration, c’est ça qui est bien.
Faustine : Chez nous, les scratchs, c’est même une seconde voix. Là, il y a tout un travail sur les thématiques de qu’est-ce que va scratcher Balré par rapport à la thématique, du coup, il fait des recherches. Là en plus, c’est un album pour lequel on s’est influencé d’œuvres littéraires, certaines ont donné lieu à des films, donc il y a eu tout un travail de recherche pour Balré d’aller rechercher ces films là, pour que sa matière à scratcher soit en adéquation avec tout ça, même dans les occupations voix/scratchs, ce n’est pas une couche qui se rajoute.
Interviewer 2 : C’est ce que je voulais dire quand le DJ est musicien, et pas juste faire un truc au fond comme certains groupes. Korn par exemple, parfois il y a des sons que tu entends derrière et que tu ne retrouves pas en live, qu’ils ont rajouté pour avoir juste une touche un peu moderne ou radio, ou je ne sais quoi.
Bro’Lee : Dans Slipknot, il y a beaucoup ça. Il y a ce mec, les gens pensent qu’il ne fait rien alors que si tu l’enlèves, c’est plus Slipknot. Et pourtant, il est là derrière avec les pics, en fait, il est essentiel au groupe parce qu’il fait tous les sons chelous, tous les sons de Slipknot.
Interviewer 1 : Comment vous est venue l’idée de retravailler des textes de littératures bien connus, de leur redonner une nouvelle jeunesse ? Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Faustine : C’est venu d’un constat très simple. Dans le collectif, on aime bien les albums à thématique. Donc voilà, on a démarré la compo, de quoi on parle, et puis du coup, un petit constat est arrivé qui est que tout le collectif depuis dix ans bosse sur l’interprétation des mots, donc les miens, et que la seule qui ne s’était encore jamais collée à l’exercice, c’est tata, voilà. Du coup, je me suis dit : « À toi de te coller à l’exercice, donc il faut que tu sois dans la réadaptation, la réinterprétation de mots d’autres gens. » Et du coup, je me suis dit : « Bah œuvres littéraires, on y va et à toi de redépoussiérer, de faire des chansons, des textes qui soient ton interprétation propre de ces bouquins. »
Interviewer 1 : Et comment as-tu choisi les œuvres en question ?
Faustine : Il y a eu des bouquins, ça a été un peu une évidence parce que je savais que ça allait faire sens par rapport à notre besoin d’offensivité, Les Misérables d’Hugo, 1984 d’Orwell… Voilà, ça allait forcément faire de bons sujets, mais après j’aime beaucoup la poésie, j’en ai lu beaucoup et du coup, je suis aussi allée chercher dans des trucs que je n’avais pas lus depuis longtemps comme les œuvres de Rimbaud, Verlaine, Baudelaire. Un jour, Bro’Lee a ramené une instru, là je me suis dit : « Ah put*in, c’est clownesque, je vais aller lire Ça de Stephen King. » Voilà, il y a des fois où ça s’est fait complètement à l’envers. Et après ça dépend, I Can Not Die, par exemple, c’est un morceau qu’on fait presque complètement à l’envers, parce que d’abord la mélodie de chant a été trouvée, j’ai vomi le texte et après j’ai composé l’instru derrière, ensuite je me suis retrouvée à me dire que ça faisait vachement écho aux Misérables de Victor Hugo. Et puis, au fur et à mesure que les morceaux se travaillent aussi, très vite, les compositeurs ou producteurs savent. Par exemple La Guerre des Rois, la base c’est Balré, et Bro’Lee arrive derrière, c’était tellement épique que tu te dis : « OK, il y a trois bouquins qu’on n’a pas abordés, c’est les trois dogmes religieux donc celle-là, on ne peut pas ne pas la faire. ».
Maxime : Tu t’es tapé les trois alors ?
Faustine : Non, j’avoue que c’est les seuls sur lesquels j’ai péché. (rire) Non parce que le but, ce n’est pas forcément de réadapter, de dire que le bouquin parle de ça, c’est aussi ton positionnement par rapport au texte. La Guerre des Rois par exemple, c’est comme si le livre était conscient de ce qu’on avait fait de lui, c’est lui qui parle, pour lui, il a toujours été un livre pour enfant, il a été détourné et il est presque désolé de ce qu’on a fait de lui.
Interviewer 2 : Et quand tu écris les textes, ça sort comme ça, d’un coup, ou c’est un truc qui est hyper prise de tête sur lequel tu vas revenir plein de fois ?
Faustine : Alors ça, ça n’a aucune logique, il y a des textes qui vont prendre trois heures et d’autres un an. Les Âmes Crécelles m’a pris cinq ans, c’est une des premières instru qui a été ramenée dans le pot commun de cet album, c’est le dernier texte que j’ai écrit et j’avais fini deux jours avant les enregistrements voix sans savoir si j’étais vraiment sûre de ce que j’allais enregistrer. Il y a des morceaux, c’est une purge où tu te dis : « Et si on le laissait en instru, c’est bien aussi. »
Interviewer 2 : C’est la mélodie du chant qui te guide ou qui rend le truc difficile ?
Faustine : Ça dépend, c’est des questions-réponses. Mais voilà, c’est comme ça qu’est venue la thématique et du coup, Justine Dubois qui a fait tout l’artwork de cet album, est repartie dans cette même thématique dans sa propre interprétation des textes.
Interviewer 2 : Oui, c’est ça qui est intéressant, il y a assez peu de groupes qui mêlent tout, le côté artistique, musical, visuel, tout ça…
Faustine : Ah, mais on se fait chier, hein. (rire) Ça a toujours été le délire dès le départ, c’est comment tu transformes une histoire. Dans l’expo/invasion de ce soir, il y a toutes les miniatures des séances photos de l’artwork et rien que ça, ça raconte une histoire à soi. C’est toujours comment tu fais déborder la musique sur un autre art.
Interviewer 2 : Je trouve que c’est vachement intéressant. Beaucoup de groupes maintenant sortent un album pour sortir un album, il n’y a pas forcément de ligne directrice. C’est déjà agréable quand tu écoutes un album, même d’un groupe connu, qui a une espèce de ligne, où tu sens qu’il y a quelque chose qui est raconté dedans, même si ça parle vaguement d’un sujet, genre de l’environnement ou tout ça, tu sens qu’il y a un truc qui est dedans, mais parfois tu sens qu’on te chie des morceaux, mais il n’y a rien qui est lié.
Faustine : Nous, c’est un monde qu’on se crée.
Bro’Lee : De base, on cherche à faire un objet complet et du coup, il faut que les choses soient imbriquées les unes dans les autres parce sinon, comme tu dis, c’est juste un patchwork et ce n’est pas ce qu’on veut faire, on veut faire UN truc.
Balré : Il y a le côté génération aussi. On est plus dans une génération qui a écouté des albums, plus que des singles. On ne fait pas un enchaînement de singles, on fait l’album avec tout ce qui va avec.
Bro’Lee : Quand je fais la galette, je veux qu’il se passe un truc du début jusqu’à la fin, pas juste, « mets la trois et la cinq, c’est celles que je préfère et puis basta. »
Interviewer 2 : C’est vrai qu’aujourd’hui déjà, même dire « J’ai écouté l’album », ça ne fait plus vraiment partie du vocabulaire d’un gamin de quinze ans.
Bro’Lee : Aujourd’hui, en 2022, si tu veux que les gens prennent le temps d’écouter un album complet, il faut leur fournir un bel objet, avec de vrais trucs, avec de l’artwork bossé, une histoire dans la création. Derrière cet objet, il y a des gens qui taffent.
Balré : Et ce que tu retrouves dans l’objet, c’est parti aussi de vrais objets, ce n’est pas du Photoshop. Il y a un vrai travail de plasticienne qui se retrouve là (en pointant l’expo) et aussi dans l’artwork de l’album.
Faustine : Le but c’est vraiment de développer, la musique est la source de création d’un monde.
Bro’Lee : Oui, de faire des choses en vrai, pas juste du numérique.
Faustine : Un monde à 360 dans lequel les gens s’immergent et le but c’est vraiment que tu plonges dans un monde.
Interviewer 2 : La soirée 360 au Pub ADK, c’était super réussi. La musique était le vecteur de tout ça, mais on était vraiment immergé dedans, on en prenait plein les yeux, il se passait toujours quelque chose, en plus il y a des tas de trucs un peu dingue, le sitar, etc., et on était vraiment dedans.
Bro’Lee : On a envie d’être dans un vrai truc. Tout le monde est dans le monde du virtuel, du numérique, aujourd’hui tout est juste du NFT et tout ça, nous, on veut faire de vrais trucs, pas du Photoshop comme il dit (en parlant de Balré), mais tu sais, de faire de vrais trucs, c’est quelque chose auquel on est attaché. Moi je n’y avais jamais pensé en fait, mais je me rends compte que c’est une réalité, on veut faire de vrais trucs, on veut pas faire juste du virtuel, des petits machins, des petites photos à s’échanger sur les réseaux sociaux, on a envie de faire des objets qu’on puisse mettre dans une expo, que les gens viennent pour les voir, presque les toucher.
Faustine : Le but c’est vraiment l’immersion. Pour émerveiller maintenant quelqu’un…
Bro’Lee : Oh c’est dur ! (rire)
Faustine :… il faut…, et moi j’ai un égo surdimensionné là-dessus, c’est « je ne mets pas sept ans pour faire un album, pour qu’au final tu me dises : ‘‘c’est cool’’ », tu vois ? (rire) Non, non, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Et puis tu vois, même le fait d’être parti dans ça, c’est aussi le plaisir de : là, les gens ils arrivent et ils baignent dans un univers qui est à 360, de redevenir des enfants, dans un monde blasé où les gens ont tout vu, ont tout entendu, bah les gens ils vont s’asseoir là et ils vont s’en prendre plein la gueule. Et parce que, mine de rien, quoi qu’on en dise, les gens en ont besoin.
Interviewer 2 : Oui, c’est ce que j’allais te dire, je ne suis pas sûr que les gens soient si blasés que ça. On a tous envie de reprendre le cours normal de nos vies.
Faustine : En fait, les gens n’en sont pas conscients, mais ils en ont monstrueusement besoin, tout à coup, de rêver d’un truc, genre : oh mon dieu c’est phospho, oh put*in, je peux écrire des petits mots, ça ne parait rien, mais voilà.
Interviewer 2 : Tu le vois quand il y a des évènements, même qui sont des spectacles de rue, etc., les gens participent. Je pense notamment au Festival des Arts de Rue à Sainte-Savine, c’est gratuit et c’est blindé de monde, les gens ont besoin de ça, de rire, d’assister à des spectacles vivants…
Faustine : L’autre fois sur Facebook, j’ai quand même lu, un mec qui posait une question qui disait « YouTube VS la scène, que faut-il choisir ? ». J’étais dé-fai-te, genre, mais put*in.
Bro’Lee : Ah ouais ? Mais après, il y a une génération…
Faustine : Quand on parle d’album insurrectionnel, c’est une vraie put*in de résistance. Alors bien sûr, ça demande mille fois plus de taf et d’énergie qu’à un groupe lambda, tu vois, mais…
Interviewer 2 : Ça fait partie du… c’est comme aller au théâtre en vrai, ou à un spectacle de rue, ressentir la personne, l’artiste qui est devant toi, tu prends plus.
Bro’Lee : Après toute cette période de confinement, de gens qui ont peur d’aller dans des endroits, il faut vraiment faire des choses, je pense, pour rappeler aux gens que c’est cool de sortir, de partager des choses avec d’autres.
Interviewer 2 : J’ose espérer que tout le monde sait que c’est un truc qui n’est pas normal, et que ce qui est normal, c’est de se voir, de se toucher.
Bro’Lee : C’est dur, moi j’ai du mal à un moment donné à me redire « Vas-y, on ressort, vas-y, on va refaire des trucs », parce que t’as trop, t’es bien chez toi quoi, t’es posé, t’as pris l’habitude après tous ces mois de ne rien foutre et voilà, faut avoir envie de ressortir.
Interviewer 2 : Je pense que ce qui rend vivant, c’est ça. On espère tous que ça va repartir en tout cas.
Interviewer 1 : Le mot de la fin ? (c’est le moment où le groupe dit absolument ce qu’il veut)
Bro’Lee : Non, non, je ne dis rien, je pue la merde sur les mots de fin, donc maintenant je ne dis plus rien.
Maxime : Voilà, c’était le mot de la fin.
Bro’Lee : Ah non, put*in, voilà. (rire)
Interviewer 2 : En tout cas, on vous souhaite de pouvoir jouer devant des gens debout qui bougent, qui s’agitent.
Bro’Lee : Bah en fait, le mot de la fin, c’est ça. Il nous tarde de retrouver vraiment ce plaisir qu’on avait de partager des concerts tous ensemble, sans avoir peur de se faire contaminer, sans restrictions, de pouvoir aller faire un bon pogo, renverser ta bière sur les gens, tout ça, tu vois. (rire)
Faustine : Après je vais quand même mettre un bémol, bien sûr que la base, surtout pour nous, ce n’est pas de jauge, des gens debout avec des corps qui peuvent s’exprimer, mais ce soir, pour moi ce n’est pas à défaut. C’est à nous de faire en sorte que même assis, les gens n’oublient pas ce concert.
Bro’Lee : Ah oui, ça, c’est une bonne expérience. On ne l’aborde pas de la même manière.
Balré : Oui, c’est pris en compte dans notre démarche.
Bro’Lee : T’es obligé.
Faustine : C’est notre travail en tant qu’artiste de se dire « OK, tu ne peux pas aborder le concert de la même manière sinon tu vas souffrir et tu ne vas pas donner le meilleur de toi-même. »
Bro’Lee : Tu sais, t’es assis et le mec te dit « Ouais, allez-y les gars, tout le monde pogo », bah non mec, non. (rire)
Faustine : Ce soir en plus, il y a une captation donc on a rendu ce concert, on a eu même, du coup, l’opportunité de rendre, de faire ce soir, une version qui va être beaucoup dans un univers théâtral.
Bro’Lee : Parce qu’on a la possibilité de le faire.
Faustine : Oui, mais parce qu’on s’est donné la possibilité de le faire et donc, c’est à nous de faire que cette soirée, elle n’est pas à défaut.
Bro’Lee : C’est vrai qu’il faut s’adapter, mais après, je pense que c’est un truc qu’on aime bien faire aussi, faire des concerts sous différentes formes, même dans les concerts on aime expérimenter.
Faustine : Bah, c’est ton taf en fait, tu vois, c’est à toi d’être créatif et de transformer la contrainte, voilà.
Maxime : Les gens assis, on a l’habitude maintenant.
Bro’Lee : Ouais, c’est vrai. (rire)
Interviewer 2 : Ça va revenir différemment, ça va se faire.
Interviewer 1 : Merci de nous avoir reçus.
Faustine : Merci à vous, avec grand plaisir. On espère que ça vous plaira.
Interviewer 1 : On aime déjà beaucoup l’album donc ça devrait aller, merci !
PHOTOS : Megapix’elle pour Vecteur Magazine