Interview de Guillaume Bernard, fondateur du groupe Klone par Cidàlia Païs
Photos : Benjamin Delacoux
Klone se révèle être un acteur essentiel de la scène musicale et metal française, une fois de plus. Leur parcours nous entraîne dans des voyages qui éveillent à la fois l’esprit et les sens, tout en offrant une véritable évolution de leur son, poursuivant les explorations mélodiques. Et pour la sortie de leur 10e album, THE UNSEEN, sorti le 8 novembre dernier, j’ai eu le plaisir d’échanger avec Guillaume Bernard, guitariste, compositeur et fondateur de ce groupe incontournable.
Guillaume, je voulais te dire que je suis très contente d’avoir cette interview avec toi. Klone est un groupe que j’admire profondément. Votre travail et votre talent sont vraiment exceptionnels, et je pense sincèrement que vous ne recevez pas la reconnaissance que vous méritez. J’en parle souvent avec des amis qui partagent cet avis : vous méritez d’être davantage célébrés. Bien sûr, vous avez déjà vos admirateurs, mais il est vrai qu’il pourrait y avoir une plus grande reconnaissance pour votre musique.
Merci, c’est gentil.
Pour commencer cette interview, pourrais-tu nous donner un aperçu de Klone ? Je serais ravie de t’écouter à ce sujet.
Pour résumer, Klone, c’est un groupe qui existe depuis une vingtaine d’années, aujourd’hui. Il évolue dans un milieu dit rock progressif, metal progressif, avec du rock et plein de choses différentes. Voilà, le groupe existe depuis un certain temps. On a fait une dizaine d’albums et pas mal de dates un peu partout en France, en Europe, aux États-Unis, en Amérique du Sud. On a même fait une tournée en Australie. On a eu pas mal d’opportunités qui nous ont permis de jouer un peu partout dans le monde, donc c’est super chouette. Et aujourd’hui, on est là avec un nouvel album qui s’appelle The Unseen, sorti le 8 novembre.
On constate l’évolution de votre musique. À vos débuts, il me semble que vous étiez plutôt dans le registre du death metal, n’est-ce pas ? Puis, au fil du temps, vous avez progressivement changé de style…
Oui, c’est ça, il y a eu plusieurs phases. Mais en effet, au début du groupe, déjà, on n’avait pas le même chanteur. Au tout début, on avait un autre mec qui s’appelait David et qui était plus sur un chant un peu à la Pantera, qui faisait aussi un peu de chant clair. Et dans le style de musique, en effet, il y avait plus d’influences aussi, un peu à la Meshuggah. Même sur High Blood Pressure, avec Yann, qui est arrivé au chant à cette période, il faisait beaucoup plus de voix growl. Il y avait plus de doubles pédales, des riffs un peu plus durs. Mais globalement, il y avait quand même tous les éléments de la musique de Klone d’aujourd’hui, parce qu’il y avait un virage progressif. Sur le premier album de Klone, il y avait une musique qui était complètement acoustique, guitare-chant, très simple, comme on a fait il n’y a pas longtemps. On s’est concentrés sur du rock progressif à tendance un peu metal. C’est dans ce registre qu’on a mis quelques disques, en tout cas.
Avant d’explorer en profondeur le contenu de Klone, il est essentiel de garder en tête qui tu es et ce que tu fais par ailleurs, car cela revêt une grande importance pour de nombreux groupes. Il me semble d’ailleurs qu’à un moment, j’ai entendu dire que Klonosphere ne peut pas vraiment être considéré comme un label, mais plutôt comme un collectif, une structure dédiée à l’entraide des autres groupes.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce qu’est Klonosphere ?
Klonosphere, c’était l’association qui m’a permis de développer Klone au tout début et d’organiser des concerts aussi quand j’ai commencé à monter cette association en 2001. Le but de l’association au début, c’était d’organiser des concerts et de promouvoir la musique metal. Je ne connaissais rien, je ne savais pas comment le milieu fonctionnait, donc je me suis mis à démarcher des gens, des premiers webzines qui existaient à l’époque. Tu vois, les magazines qui existaient aussi à l’époque et qui n’existent plus pour la plupart. Je pensais à Hard n’ Heavy et autres, pas mal de magazines comme ça qui ont disparu au fur et à mesure.
En fait, plein de groupes m’ont demandé, au fur et à mesure dans l’association, de les aider à faire des trucs parce qu’ils voyaient que je ne me débrouillais pas trop mal sur ce que je faisais. Et au début, ça a été un collectif artistique dans le sens où il y avait Hacride, Trepalium… C’est un peu horrible parce que tous ces groupes-là sont morts aujourd’hui, donc il ne reste plus que Klone. Mais à l’époque, en tout cas, j’ai fait tout ce que je pouvais pour ces groupes-là aussi, qui étaient des amis et des groupes de la région. Et puis, à un moment, j’ai continué à faire ça, mais pour d’autres groupes, parce que j’avais plein de groupes qui me réclamaient, plein de gens me disaient : « Est-ce que tu penses qu’on pourrait faire partie de ta sphère ? »
Ce que je savais faire, je pensais que tout le monde pouvait le faire comme moi, vu que je n’avais pas de formation particulière pour le faire. Au fur et à mesure, c’est devenu une structure qui m’a aidé à développer des groupes. Je donne pas mal de conseils aux groupes avec qui on travaille, qui sont souvent des groupes qui partent de zéro. J’aime bien retransmettre un peu ce que j’ai appris de mon expérience, de diriger les groupes vers des gens, faire en sorte qu’ils aient de la presse, les diriger vers des tourneurs, leur expliquer deux-trois choses sur comment fonctionne le milieu.
Donc c’est pour ça que moi, je ne suis pas un label en tant que producteur de disques, je ne produis pas de disques. Mais on a mis en place le système que j’avais pour Klone au début pour le groupe. Et puis, il faut croire que ça intéresse, parce que plein de gens me contactent tout le temps pour qu’on puisse bosser avec eux.
Et on est limité dans ce qu’on fait avec Pat (Patricia Agaoua) pour pouvoir bien travailler comme il faut. On se limite à une dizaine, une douzaine de groupes par an, voire un peu plus parfois selon les périodes, si vraiment il y a des projets qu’on suit pour certains depuis quelques disques ou d’autres. On essaie ensemble de les faire avancer et de ne pas trop les faire rêver, en expliquant bien que le milieu est compliqué et que ça ne se fait pas en deux disques de percer dans la musique.
Avec Klone, nous avons entrepris beaucoup de choses, mais nous sommes encore loin de remplir un Zénith ou de figurer en tête d’affiche des grands festivals. Cependant, nous avons un nom et un public qui nous suit. Ce que nous avons accompli avec le groupe est le fruit d’un dur travail et d’un investissement considérable au fil du temps. Ainsi, c’est cet engagement que j’essaie de transmettre à travers les différents projets avec lesquels je collabore. Mon rôle consiste principalement à accompagner ces projets. Il s’agit aussi d’établir des contacts, de gérer toutes ces modalités essentielles.
J’apprécie d’avoir une diversité d’idées à explorer. Si un concept émerge qui pourrait bien résonner avec un groupe avec lequel je travaille, je m’efforce de les aiguiller dans la bonne direction. Je ne suis pas seul dans cette démarche ; il existe une équipe avec moi. Je ne prends donc pas toute la charge sur mes épaules, car il serait impossible de tout gérer tout seul.
Je me posais la question, car il y a cette notion de Klone, tout ce que tu y insuffles, l’énergie que tu y consacres, et la dynamique humaine qui se joue dans la gestion de l’autre, notamment lorsqu’il s’agit de coordonner plusieurs groupes.
Concernant Klone, vous avez su créer un univers musical très particulier, et je suis ravie d’avoir eu l’opportunité de vous découvrir en live, même si j’avais déjà une certaine connaissance de votre répertoire. Cette expérience m’a vraiment apporté une dimension supplémentaire, et j’ai vu tous les efforts de composition qui l’accompagnent, ce qui a résulté en une maturité musicale impressionnante, des atmosphères saisissantes. Je ne peux m’empêcher de m’exclamer que vous jetez des choses incroyables, des morceaux qui jaillissent des tripes, de l’âme. Voilà, c’est vraiment cela.
Ça fait plaisir ! Après, tu sais, je n’aime pas vraiment me vanter. Ce qui peut te sembler incroyable, pour moi, ça reste très simple. Je ne me force pas et je ne me prends pas la tête comme un fou pour accomplir ce que j’ai à faire. C’est un processus naturel, en quelque sorte. Mais, humblement, je dois dire que je ne suis pas à l’aise avec le mot « artiste ». Bien que j’apprécie ce qu’il évoque, je n’adhère pas à cette étiquette. Pour moi, la musique a plus d’impact sur ma manière de créer que le mot « artiste », tel qu’on l’entend généralement. Quand quelqu’un me dit : « Moi, je suis un artiste », cela crée une barrière en moi, car je ne me sens pas à ce niveau. Ce que je fais, personnellement, ne me semble pas exceptionnel. Cela dit, je suis ravi que tant de gens soient touchés par mon univers musical et qu’ils puissent ressentir les émotions que la musique véhicule. Je suis un gars très terre à terre, donc pour moi, la musique est un moyen d’exprimer ce que je ressens. Si des gens parviennent à partager quelque chose à travers mon travail, c’est merveilleux. C’est une part intégrante de mon processus créatif, quelque chose de spontané. J’ai une idée, je la développe, puis je collabore avec mes amis de Klone, même si, pour l’instant, je ne me concentre que sur certains aspects. Bien que je sois le principal compositeur, surtout en ce qui concerne la musique, l’apport de Yann au niveau vocal est immense.
Ce que Enzo a ajouté à la basse sur le dernier album a également eu un impact considérable. Et il en va de même pour Matthieu Metzger, le saxophoniste de Klone, qui contribue aussi aux ambiances de notre musique. Je suis conscient que sans ces personnes, Klone ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Bien que je mette en avant la matière première sur laquelle nous travaillons, l’impact de chaque membre sur notre musique est crucial pour moi.
Le paradoxe… C’est vraiment captivant.
J’aimerais revenir sur l’album Meanwhile, car je l’ai adoré. Il y a plusieurs titres où l’on ressent la voix de Yann avec une intensité remarquable. Il y a une belle densité ; tout était bien dosé, avec des touches plus metal et plus direct. C’était vraiment réussi. Mais qu’est-ce qui a motivé cette approche ? Aviez-vous un besoin de retrouver vos débuts ?
À l’époque de ce disque-là, vu que j’avais pas mal de morceaux de côté, parce que tu sais, il y avait eu le Covid, tout ça, donc on avait eu le temps de bien bosser sur pas mal de morceaux. J’avais essayé de rassembler les idées qui étaient un peu les plus proches du metal, parce qu’à l’époque, quand on a fait ce disque, on avait envie de retrouver un peu plus ce côté hargneux sur scène aussi, pour ne pas perdre d’où on venait. Parce qu’on vient clairement à la fois du metal et du rock, c’est un mélange des deux, et donc c’est ce qu’on a cherché à faire à l’époque, tout en gardant nos influences que nous avons eues sur les derniers disques que nous avons sortis, qui étaient beaucoup plus atmosphériques. Donc, on se retrouvait avec une masse très metal, avec des petits détails très ambiants en rajout.
Après, avec du recul, c’est peut-être le disque que j’aime le moins en Klone. Même s’il y a des morceaux que j’apprécie toujours, sur l’ensemble du disque, je suis plus fier de ce que j’ai fait avec Le Grand Voyage, avec Here Come The Sun, voire même avec le nouveau, je préfère The Unseen à Meanwhile. Même au sein du groupe, les autres musiciens partagent mon sentiment. J’étais content sur le moment, mais je savais que cette expérience ne serait pas émotionnellement aussi intense que ce que nous avions réalisé auparavant.
…Moi j’adore Meanwhile !
Mais peut-être que tu as découvert aussi le groupe plus avec ce disque qu’avec les autres d’avant, ou que tu es plus entré dedans.
Du tout. Pour ma part, j’adore voyager à travers la musique, avec l’objectif d’éveiller l’écoute et d’élargir l’esprit. Cet album m’a véritablement offert l’équilibre que j’associe à Klone.
D’accord, je comprends. Après, c’était un peu ce qu’on cherchait à faire, donc tant mieux.
Juste, moi, d’après mon impression, surtout en jouant les morceaux en live, il y a certains titres de Meanwhile, j’en avais marre de les jouer, contrairement à d’autres morceaux. Et à un moment, pendant toute la tournée de Devin Townsend, on avait mis Elusive, le titre 5, en ouverture de live, et au bout d’un moment, je me suis auto-saturé. C’est très bizarre, alors que ça ne me le fait pas avec d’autres morceaux plus anciens de Klone que j’ai joués encore plus de fois. Du coup, je me suis dit : « Ce morceau me saoule. » C’est rare que ça me fasse ça.
Je me dis qu’à ce moment-là, j’ai bien aimé le faire, mais je sens que ce n’est pas un morceau qui va rester dans le temps.
Mais pour Meanwhile, il y a Blink of an Eye et Bystander qui sont très cools. Night and Day, j’aime beaucoup aussi. Le dernier des titres, Meanwhile, aussi, je l’aime beaucoup parce que j’aime bien ce qui en émane, et puis le côté prog.
Après, ce n’est pas que je ne les aime pas, mais… moi, ça me… je ne sais pas comment dire, mais voilà. On a bossé sur le nouveau disque, et puis je m’y retrouve plus… je l’aime. Après, si ça se trouve, dans deux ans, j’aurai changé d’avis.
Entendu.
Autre chose que j’apprécie chez vous, c’est que chaque fois que je vous écoute, quel que soit le style – surtout dans vos dernières créations – je ressens toujours une sensation d’apaisement, comme si j’étais dans un havre de paix.
Par exemple, lorsque j’ai découvert le dernier album, The Unseen, il y a des morceaux qui m’emmènent loin. Dans Spring, par exemple, ce morceau qui dure une beauté éternelle, l’intro m’a immédiatement transportée en haut d’une montagne, avec le vent caressant mon visage. C’est une véritable expérience sensorielle… en plus, il est constitué de plusieurs chapitres…
Oui, je vois l’image. C’est un titre particulier, un morceau qui remonte un peu dans le temps, je te l’avoue. À l’origine, il devait faire partie de l’album, tout comme The Sun. Il faut dire que l’album précédent, Le Grand Voyage, était déjà enregistré à cette époque.
Nous avons choisi de le placer en fin de disque, car il n’a pas tout à fait le même son que les autres morceaux, ni les mêmes musiciens. Pour favoriser une transition en douceur, afin d’éviter que tu aies l’impression qu’il s’agisse d’un morceau à part, j’ai décidé d’ajouter une longue introduction et une longue outro. Cela permet de sortir progressivement des sonorités précédentes et de plonger dans de nouveaux paysages sonores. Je comprends très bien l’image que tu évoques, car les arpèges et l’ambiance de ce morceau y préparent parfaitement. En tout cas, c’est un morceau assez ancien, que nous n’avons pas eu le temps de finaliser à l’époque, mais que nous aimions beaucoup.
Nous avons conservé plusieurs morceaux dans le même esprit pour cet album The Unseen. Beaucoup d’entre eux sont en effet des créations plus anciennes, laissées inachevées, et que nous n’avons pas pu finaliser au début de cette année pour pouvoir les sortir maintenant.
C’est assez réjouissant, en quelque sorte, de les ressortir des « caves » après dix ans de maturation, comme de bonnes bouteilles de vin. Yann a rajouté toutes ses lignes de voix, et nous avons enrichi le tout avec les lignes de basse, les arrangements, les saxophones, et tous les détails qui ont été peaufinés cette année.
Personnellement, j’avais mis de côté ces morceaux, n’ayant pas eu le temps de les terminer par le passé, mais je savais qu’un jour, je voudrais les faire entendre. Alors, lorsque l’occasion s’est présentée, je me suis dit qu’il serait dommage de ne pas les sortir.
Avec le délai relativement court que nous avions pour soumettre le disque au label allemand, cela nous a permis de travailler un peu plus vite que d’habitude. Cela dit, j’ai également avancé sur d’autres morceaux pour plus tard.
J’ai l’impression que c’est un plus de laisser reposer votre musique..
Je suis constamment en train de bricoler sur de nombreux projets. J’ai une vingtaine de morceaux qui reposent sur mon ordinateur depuis quelque temps. Parfois, je redécouvre également des petites idées enregistrées sur mon dictaphone, capturées un peu à la volée, comme de courts passages de guitare. Il arrive que je réécoute ces enregistrements et je me dis… Putain, il était bien ce truc-là, je me souviens à peu près du moment où je l’avais fait. Je le rejoue, puis j’explore de nouvelles mélodies autour, et souvent, cela m’aide à achever le morceau. Ou peut-être que cela me donnera l’élan nécessaire pour composer autre chose.
Ainsi, j’apprécie d’avoir des réserves en attente, qui me fournissent des fondations solides sur lesquelles bâtir. J’aime vraiment ma manière de travailler, un peu comme un petit écureuil. Tu sais, je mets de côté mes petites noisettes, et lorsque l’hiver arrive, je les ressors avec plaisir.
Ce titre risque de surprendre plus d’un, car il gagne en intensité au fur et à mesure qu’on avance.
Pour revenir à The Unseen, concentrons-nous sur ce titre précis. Celui-ci débute par une courte intro, mais marquante, et se termine d’une manière que l’on pourrait qualifier d’intrigante. Je ne trouve pas les mots exacts, mais il y a une certaine forme d’inconfort au début. Ensuite, tout s’éclaircit, pour finalement se conclure sur un sentiment comme si l’on restait sur une note d’interrogation.
C’était quoi le but plus particulièrement avec ce titre ?
Tu parles vraiment du morceau, le titre. Et là, quand tu parles de ce qui t’a fait bizarre, dérangeant, c’était quoi ?
C’est le contraste entre l’introduction et la suite du morceau, je peine à te l’expliquer. C’est un sentiment qui m’envahit, que je trouve difficile à décrire.. Ensuite, il y a ce riff qui reste constant, une petite mélodie de guitare qui accompagne chaque moment. Tu te dis « c’est presque comme si, malgré toutes les explications, l’humain avait du mal à saisir l’essence même »… Il faut vraiment avoir l’esprit ouvert pour l’appréhender..
C’est marrant parce que le titre dont tu parles est un des titres que les autres membres du groupe préfèrent. Ils voulaient absolument le mettre comme un signal.
Le clip, tu verras quand il sortira, est assez bizarre aussi, parce qu’il y a un personnage, un peu comme sur la pochette, qui apparaît dans des rêves étranges. Et juste ici, dans ce casse-morceau, c’est une espèce de ritournelle, comme une valse un peu qui tourne. Moi, j’aime bien parce que ça commence avec un son un petit peu chamanique, une sorte de bruit étrange, je ne sais pas trop ce que c’est, une cloche, je suppose. Mais ça a été noyé dans des effets un peu bizarres, donc ça crée tout un truc un peu mystérieux, en tout cas.
Et en même temps, c’est un peu ce que peut dégager aussi le personnage de la pochette ; à savoir, dans The Unseen, c’est aussi l’invisible. Il y a aussi le côté du monde de l’invisible qu’on ne maîtrise pas, qui n’est pas perceptible par nos sens. C’est remettre un peu l’humain à sa place, en tant qu’être humain, qui est limité dans sa manière de percevoir les choses autour de lui. Tout ce qui n’est pas palpable, tout ce que l’on ne peut pas voir mais qui, pourtant, existe réellement. Et nous, devant nous, nous n’avons pas la possibilité de voir réellement les choses, comme de sentir, comme d’écouter.
Nous sommes tellement limités par nos sens, et les humains, en général, sont tellement bloqués dans leur quotidien qu’ils ont du mal à se remettre en question. Souvent, on croit que ce que l’on voit est la réalité. Moi, je crois que ce que je vois, sauf qu’en fait, tu ne comprends pas que ce que tu vois, tu ne vois pas tout, tu n’entends pas tout, tu ne sens pas tout, et tu n’as pas accès à tout un tas de mondes qui nous échappent.
C’est ça un peu le délire autour de ce morceau.
C’est super intéressant.
Tu vois, c’est un côté mystérieux, magique, qui restera un monde qu’on ne connaîtra jamais, car on n’a pas les capacités. Je pense que ça parle globalement de tout ça.
Peut-on considérer Magnetic comme une ode à l’amour ?
C’est Yann qui a formulé cette phrase promo, un peu, on va dire, qu’on nous a demandée pour faire une news sur ce titre qu’on a clippé avec nos enfants. D’ailleurs, dans le clip de ce morceau, tu vois deux enfants.
Il y a également un autre enfant parmi eux, donc tu as les deux enfants de Yann, le chanteur, et une fille de Harun Demiraslan, membre de Trepalium, qui est également un ami.
Pour ce qui est de ce morceau, lorsque des enfants entrent dans ta vie… Pour ma part, je viens d’accueillir une petite fille il y a seulement trois mois. En vivant ces moments, on retrouve de l’espoir, d’une certaine manière. Cet amour que l’on ressent est unique, inégalable.
J’ai déjà ressenti ce lien profond avec mon animal. Tu as un chien, n’est-ce pas ? Moi aussi, j’ai un chien, et je l’adore.
Je te comprends !
T’as un enfant qui est le tien, qui fait partie de ta lignée, à qui tu vas léguer tout un héritage culturel et émotionnel, et ensuite essayer de la mettre sur le chemin de la vie.
L’ode à l’amour, c’est dans ce sens-là. En fait, tu te rends compte, quand tu as un enfant, de sa façon de vivre, de sa naïveté, de la découverte de tout ce qui l’entoure, de cette magie que l’on perd petit à petit au fur et à mesure qu’on avance dans la vie. Il y a ce côté innocent qui va durer trois, quatre, cinq, six ans… C’est tellement beau de revoir à travers nos yeux d’adultes ce que nous avons vécu en tant qu’enfants, puis de se remettre dans cette position et de se dire que c’est beau, le pouvoir de donner la vie. C’est un truc qui est compliqué, mais tellement profond.
C’est une des plus belles expériences !
Ben oui ! Voilà, je suis en pleine découverte de tout ça, mais c’est fou à vivre, en tout cas émotionnellement.
Ça ne s’arrête jamais, crois-moi, c’est vraiment beau.
Parmi mes titres préférés, il y en a deux qui me touchent particulièrement : After the Sun et Slow Down. Mais il y a aussi Desire Line. Lorsque j’ai commencé à l’écouter, je me suis retrouvée confrontée à une nouvelle limite, presque comme une autre chanson d’amour.
Il y a un rythme si captivant. Je ne sais pas si c’était intentionnel, mais quand j’ai perçu le beat en arrière-plan, ce groove envoûtant, j’ai ressenti une montée d’adrénaline. Vos influences sont tellement diverses.
Je peine à trouver les mots pour décrire ce titre précis. En tout cas, avec After the Sun, Desire Line et Slow Down, on plonge dans une ambiance paisible, une douceur enveloppante. Cependant, j’étais vraiment curieuse de comprendre l’essence de Desire Line.
Ouais, c’est un peu un morceau avec un côté un peu « baloche », je trouve.
Ce qui est marrant avec ce morceau, c’est que j’ai un petit solo de guitare dans un thème qui est repris en boucle par les saxophones. Ils ont pris mon idée et l’ont transformée. Quand j’ai envoyé ce petit thème aux autres membres du groupe, c’était un petit solo de guitare. Je ne fais pas des solos à la Guitar Hero, je préfère créer de petits thèmes comme ça. Et quand je l’ai envoyé à Mathieu Metzger, notre saxophoniste, il m’a rejoué mon thème dans tous les sens jusqu’à la fin du morceau.
Quand je l’ai entendu jouer avec les saxophones, mon petit thème… je me suis dit : « Ça fait des arrangements un peu à la Frank Zappa ». Je me suis alors rendu compte que je n’avais pas anticipé que ça rendrait comme ça, mais franchement, j’aime bien le résultat. Ce morceau, moi, je l’aime bien.
Il est joyeux aussi.
Ouais, il est joyeux. La réverbération qui s’en dégage est un peu légère, avec des touches de légèreté dedans, et ça fait du bien dans l’album, surtout au moment où il arrive, de changer un peu d’air. Ça crée une transition plutôt sympa, je pense, avec le titre qui suit.
Et ‘Slow Down’, il a… une certaine profondeur..il dégage… de belles énergies. En fait, tu sais, je ressens un paradoxe au sein de cet album. Je ne sais pas si c’était intentionnel, mais il y a indéniablement un côté sombre, une mélancolie palpable. En même temps, on découvre une atmosphère apaisante, une impression de paix. Il y a cette joie, ce bonheur, et puis cette douceur. J’ai trouvé cet album à la fois paradoxal et magnifique. Était-ce l’intention ?
Je n’ai pas de but particulier. À partir du moment où je fais des morceaux, que je les termine et que je suis content du résultat, et que nous sommes contents de les jouer aussi, c’est vraiment ce qui me rend heureux. Ce sont juste des morceaux que j’aimais bien, qui viennent de différentes périodes.
Quand tu m’expliques ce que tu ressens par rapport à l’émotion que chaque morceau peut retranscrire, je me retrouve totalement dans ce que tu dis. Tu n’es pas du tout à côté de la plaque, et ça me redonne un regard que moi, je n’ai plus. En effet, il y a différents tableaux, différentes émotions, et c’est super parce que, par rapport à un autre disque comme Le Grand Voyage, où nous étions plus dans une bulle, où tu entrais dedans au début et ressortais à la fin, restant immergé dans une atmosphère intense émotionnellement, là, j’ai créé un paradoxe avec (Modest) Mussorgsky, Tableaux d’une exposition, parce qu’il y a un peu ce côté où tu passes devant un tableau, tu vois quelque chose se dessiner, puis tu te promènes et tu arrives ailleurs. Et ce que tu m’as décrit, en tout cas, ça me fait penser à ça. Parce qu’en effet, avec Spring, vers la fin, tu as ce côté metal, avec des cris, un gros bruit, etc.
Donc, c’est cool, parce que ça représente bien tout ce qu’un humain peut ressentir, quelque part, dans ses émotions limitées.
J’ai eu le plaisir de vous voir lors de la tournée des Tambours du Bronx. Klone en live, c’est tout simplement incroyable ! C’est une véritable immersion, une expérience magique que j’ai vécue au Trianon.
Vous êtes donc partis en tournée en septembre-octobre pour votre série Unplugged. Ce qui m’intrigue particulièrement — et j’espère vraiment pouvoir en être témoin un jour —, c’est que vous avez donné des concerts unplugged dans une église à Toulouse, et dans un temple protestant, si je ne me trompe pas. J’imagine l’atmosphère…
Maintenant que The Unseen est enfin sorti, comment vis-tu cette période ? Et quels sont vos projets pour la suite de la sortie de l’album ?
Je le vis très bien, parce que je suis déjà passé à autre chose, tu vois. En fait, l’album est terminé depuis janvier de cette année… Et on était pressés de le partager avec les gens.
Le truc qui est assez étrange par rapport à ce qu’on fait d’habitude, c’est qu’on ne part pas en tournée tout de suite. Donc là, l’album sort, mais je fais la promo en donnant des interviews, etc. Cependant, d’ici février, on n’a pas de dates de concerts prévues.
Vous allez profiter d’autres choses, passer du temps en famille !
Ouais, il y a ça aussi, et puis en partie, moi, je travaille directement sur un autre disque.
C’est con, mais tu vois, chaque fois qu’on sort un disque, il est déjà prêt depuis un an, un an et demi en moyenne. On doit prendre le temps d’avancer, et là, je sais que mon objectif, c’est d’avoir un nouveau disque prêt. On a bien progressé sur ce projet, en tout cas, d’ici la fin de l’année, pour pouvoir bosser dessus à fond et commencer l’enregistrement l’année prochaine, avec l’idée de le sortir l’année d’après.
Ensuite, on va aussi faire des répétitions pour travailler les nouveaux titres pour le live. On va prendre le temps de faire ça en résidence. Et puis, on a hâte de pouvoir les jouer en live, parce que déjà, on a commencé à jouer deux morceaux de cet album en acoustique depuis le début de l’année, pour les roder. Et on peut dire qu’on a vu que c’était plutôt cool ! On sent aussi que depuis la sortie de l’album, les gens connaissent mieux les morceaux.
C’est pour ça qu’il faut prendre les billets dès qu’ il y aura des dates, que les gens aillent vous voir.
Guillaume, qu’aimerais tu ajouter à l’interview ?
Un immense merci à tous ceux qui nous suivent. Merci à toi, et à tous ceux qui nous soutiennent depuis nos débuts, qui continuent à venir nous voir en concert malgré le temps qui s’écoule. C’est incroyable de reconnaître tant de visages familiers, surtout à Paris, où, lors de notre dernière performance, nous avons croisé de nombreuses personnes qui nous suivent depuis un bon moment. On les aperçoit à chaque concert. Il y a toujours quelques irréductibles qui restent fidèles, et cela nous réchauffe le cœur, assurément.
Ce fut un plaisir.
Merci beaucoup pour l’interview.
PLUS D’INFORMATIONS :
ALBUM : The Unseen
DATE DE SORTIE : 8 Novembre 2024
LABEL : Pelagic Records
SITES OFFICIELS : https://www.klonosphere.com/
The Unseen s’élève comme une œuvre somptueuse. Ses effets, où certaines idées macèrent lentement, se savourent comme un grand vin.
Interlaced ouvre l’album avec une sérénité spacieuse, offrant une pluie de solos de saxophone enchanteurs et le chant angélique et soul de Yann. Parfaitement rythmée et d’une autorité tranquille, cette pièce définit le ton d’un album riche en moments apaisants et gracieux.
Le titre de l’album renforce l’idée que Klone nous offre une vérité à portée de main, pourtant invisible pour beaucoup. Guillaume partage : « Nous sommes tellement limités par nos sens, et les humains, en général, sont tellement pris dans leur quotidien qu’ils peinent à se remettre en question. » On remarquera une touche de riffs post-hardcore et de crescendos délicatement déformés.
À l’opposé, Magnetic se présente comme une ode à l’amour inconditionnel, et constitue l’une de leurs créations les plus succinctes et directes à ce jour.
The Unseen épanouit véritablement sa richesse au fil de sa seconde moitié. After The Sun se révèle comme un rêve fiévreux mêlant dub et post-rock, avec une grande mélodie vocale et une tension sous-jacente vibrante.
Desire Line se singularise par ses nuances furtives teintées de blues, ses harmonies vocales spectrales et ses échos grinçants de rock alternatif.
Slow Down, imbibé de réverbération, dérive sur des vagues de mélancolie, alliant des changements d’accords astucieux à un élan rock sinueux et cosmique.
Mais c’est Spring qui me marque le plus : ce titre de 12 minutes 25 me conduit au sommet d’une colline, où la brise apaise mon esprit. Il part sur un tempo de plus en plus dense qui se veut hypnotique. Le coup de cœur !
Cet opus déborde d’introspection et de passion, équilibrant chaque note dans son écriture.
The Unseen, ce voyage extrasensoriel de 42 minutes, est désormais disponible via Pelagic Records.