Par Christophe Pinheiro
Depuis plus de deux décennies, chez nos voisins allemands, un groupe marque de son empreinte l’univers du metal. Porté par des discours engagés et une signature sonore qui lui est propre, HEAVEN SHALL BURN est de retour avec “Heimat”. Rencontre avec Maik WEICHERT, guitariste et membre originel du groupe. L’occasion de parler de ce nouvel album et de sa composition. Tout en nous rappelant que la liberté passe par des choix de carrière affirmés.
Crédit photos : Candy WELZ
Vous êtes de retour avec un nouvel album intitulé “Heimat”. J’espère que la prononciation est bonne.
Ouais. Pas trop mal. Mieux que mon français. (rires)
C’est un mot allemand qui n’a pas d’équivalent en français. Que signifie le nom de cet album ?
Eh bien, je ne peux vous le dire qu’en anglais pour l’instant, ça signifie en quelque sorte « patrie » ou « chez soi ». Mais ça peut avoir plein de significations différentes. En Allemagne, tout le monde est très tendu. C’est parce que c’est mal utilisé par les populistes de droite, et puis, il y a les vrais débats politiques, ce genre de choses. Utiliser ce terme pour un disque est donc un sujet important ici en Allemagne. Les gens se demandent : Comment s’appelle ce disque ? C’est une sorte de provocation. On veut juste retrouver ce mot, parce qu’il signifie « patrie », ou « chez soi ». Mais il peut aussi être un foyer spirituel, quelque chose vers lequel on retourne, comme ses convictions fondamentales, c’est plutôt le sens que j’utilise pour ce mot. Mais il peut aussi désigner l’endroit d’où l’on vient, où l’on est chez soi, où on a grandi, où sont ses racines, et tout ce qui a fait de vous ce que vous êtes aujourd’hui.
La signification de cet album est très forte pour vous.
Oui. C’est vrai. C’est très lié aux questions d’identité et à tout ce qui est discuté dans les débats politiques.
Le dernier album, “Of Truth and Sacrifice”, est sorti il y a cinq ans. Comment avez-vous travaillé sur le processus créatif de cet album ?
Eh bien, ce n’était pas un processus spécial. HEAVEN SHALL BURN n’est pas un groupe qui évolue selon ce que j’appelle toujours, les cycles économiques de la musique. On écrit, on va en studio, on part en tournée, on fait de la promo etc. HEAVEN SHALL BURN est plutôt un groupe amateur. On se retrouve une fois par semaine, on écrit toujours de nouvelles chansons, on joue toujours des riffs et ce genre de choses et on ne fait pas beaucoup de concerts. Et c’est pour ça qu’on fonctionne plus comme un groupe amateur, tu vois, même si on est l’un des plus grands groupes de metal d’Allemagne. Mais on a toujours nos boulots, et on a délibérément décidé de ne pas être un groupe professionnel. Du coup, on a toujours des boulots à mi-temps, pas par obligation. On peut facilement vivre de la musique, mais parce qu’on aime notre travail. Mais ça donne aussi beaucoup de force à investir dans la musique, parce nous ne sommes pas épuisés ni achetés par le business de la musique. Ça, c’est aussi un truc pourri. On n’a pas vraiment de processus d’écriture d’album. Nous sommes un groupe heureux. Si on a un riff et une chanson en tête, on la fait. Et sinon, on ne la sort pas. C’est pour ça qu’il y a parfois cinq ans entre deux albums, et parfois un an. On ne sort de la musique que lorsqu’on pense qu’il y a quelque chose à faire. On ne sort pas de musique parce qu’on doit partir en tournée ou parce qu’on doit… quelque chose du genre.
Au niveau des paroles, il y a une réelle influence sur l’actualité mondiale. Vous êtes connu pour votre engagement dans vos paroles. Qu’est-ce qui est différent avec cet album ?
Je pense que c’est plus lié au contexte mondial actuel. On a toujours eu cette approche qui consiste à regarder l’actualité avec un regard sur les événements historiques. Parce que c’est beaucoup plus facile d’en parler et de donner son avis sur des événements historiques parce qu’ils sont déjà passés. Tu vois ? Si j’écris quelque chose sur la guerre en Ukraine aujourd’hui et que l’album sort dans six mois, ce ne sera probablement plus d’actualité. C’est pourquoi nous essayons de nous interroger sur des événements historiques et de les utiliser pour des situations très actuelles, en politique mondiale, etc. C’est toujours notre approche dans la façon d’aborder les questions d’actualité, d’un point de vue plus philosophique. Car tous les conflits actuels sont aussi vieux que l’humanité. Il n’y a rien de vraiment nouveau.
Cet album sonne comme une histoire avec son intro incluant des bruits de guerre, que l’on retrouve dans l’interlude, et avec un instrumental qui clôture l’album. C’est un album qui s’écoute du début à la fin et dans l’ordre ? Quel est le sens de ces titres instrumentaux ?
Oui. Je pense, en effet, que cet album s’écoute du début à la fin, de l’intro à l’outro. Ces deux instrumentaux sont comme une sorte de cadre vraiment cool pour l’album. Et l’interlude, qui est juste entre les deux, sonne comme un morceau de musique classique calme. On vous offre une petite pause au milieu de l’album. Bien sûr, nous serions vraiment heureux si quelqu’un écoutait le disque comme un album, comme à l’époque. S’asseoir et écouter du début à la fin parce que nous l’avons pensé comme un voyage. Et de nos jours, beaucoup de gens n’écoutent que deux ou trois chansons sur la playlist Spotify. Ils ratent vraiment quelque chose que l’album peut apporter. Comme un voyage, avec l’agressivité qui monte puis qui redevient calme. Nous serions vraiment heureux si les gens nous accompagnaient dans ce voyage et écoutaient l’album en entier. C’est un très grand privilège pour un musicien si les gens font ça.
À propos de l’outro, c’est probablement le titre le plus positif de cet album. Celui qui apporte le calme après la guerre.
Il y a beaucoup d’émotions persistantes dans cet album. Et si vous l’écoutez attentivement, on retrouve toutes les mélodies des chansons de l’album dans cet outro, mais joué par des cordes. C’est plus ou moins comme un genre de résumé de ce qu’était le disque. Comme un écho du disque, comme un écho d’une guerre. Donc ton idée n’est pas mauvaise. J’aime que tu en aies saisi l’idée.
Vous collaborez avec Jesse LEACH de KILLSWITCH ENGAGE sur le morceau “Numbered Days”. Comment en êtes-vous venu à collaborer avec Jesse ?
“Numbered Days”, c’est la reprise de KILLSWITCH ENGAGE. On a pensé que ce serait sûr pour nous d’avoir Jesse sur la chanson pour que les fans de KILLSWITCH ENGAGE ne nous détestent pas pour avoir repris la chanson.(rires) Il y a un an, nous étions à l’affiche du Wacken Festival et KILLSWITCH ENGAGE jouait aussi. On traînait en coulisses et on parlait de plein de choses et on est venus à se dire qu’on ferait un truc ensemble. On a promis de l’appeler pour faire quelque chose. Et on l’a vraiment appelé. Il était content, et nous a dit être partant pour faire quelque chose comme ça. C’est une très vieille amitié entre KILLSWITCH ENGAGE et HEAVEN SHALL BURN. Par exemple, Mike (D’ANTONIO) a dessiné le premier logo de notre groupe. Il a aussi fait la pochette de notre premier album. Quand j’ai entendu ce morceau pour la première fois, je crois que c’était encore des démos à l’époque où Adam (DUKTIEWICZ) les jouait. À l’époque, jouer ce genre de musique était quelque chose de nouveau. Je savais que ça allait être énorme. Jouer ce genre de metal mélodique, associé à des voix claires, c’était le modèle de ce que le metalcore allait devenir. Et, de nos jours, jouer ce genre de metalcore, c’est presque de la vieille école. De nos jours, le metalcore ressemble plus à un nouveau metal, un truc doux. Ça ne sonne plus comme AVENGED SEVENFOLD, KILLSWITCH ENGAGE ou HEAVEN SHALL BURN. C’est quelque chose de très intéressant. Ce titre est un hommage à de grands amis et à un grand groupe. Et je pense que ce genre de metalcore n’a jamais été aussi bien joué par aucun groupe que KILLSWITCH ENGAGE. Ce sont les rois du metalcore, ils ont vraiment inventé quelque chose. On voulait juste montrer aux gens que c’est en quelque sorte notre patrie musicale. Donc, ça a tout à fait sa place sur l’album.
J’aime beaucoup le titre “War is the Father of All”. C’est définitivement l’une de mes préférées de cet album. Une chanson vraiment épique. Avec une structure très marquée. Comment avez-vous travaillé sur ce titre ?
Oh, c’était vraiment un sacré boulot, tu sais. Il y a des chansons sur lesquelles on se pose comme “Empowerment” par exemple. C’est une chanson où on s’assoit sur le canapé, et c’est juste le flow. On l’écrit en deux heures. Mais “War is the Father of All”, ça nous a pris, je ne sais pas, trois mois, peut-être. C’était fou. Parce qu’il y avait toujours des petits détails qu’on devait développer dans la direction de ce titre. On s’est envolés pour Vienne et on a enregistré ça dans le studio où travaillent habituellement des gens comme Hans Zimmer, et où la bande originale d’Interstellar a été enregistrée. On a dépensé des fortunes rien que pour cette chanson. On voulait faire ça, parce que je sentais qu’avoir des synthétiseurs ne lui rendrait pas justice. Cette chanson avait besoin d’une histoire. On a donc fait venir des chanteurs ukrainiens pour chanter sur cette chanson. Chacun avec sa propre histoire sur la guerre, et parler à ces gens était très touchant aussi. Ça donnait une histoire à cette chanson et à l’album. Et c’est pour ça que la chanson a tellement d’ambiances différentes. C’est vraiment un voyage. Ça passe de MACHINE HEAD à ENTOMBED, de MESHUGGAH à DIMMU BORGIR. C’est dingue. C’est vraiment ce qu’on voulait, embarquer les gens dans un voyage, leur montrer le sens et l’immensité de ce sujet, intégré à la structure de la chanson. Donc je suis vraiment content si tu aimes cette chanson, parce que c’est assez compliqué de l’avoir comme premier morceau de l’album, parce qu’elle dure environ six minutes. Mais on voulait vraiment prendre un risque et on s’est dit que ça valait vraiment le coup de l’avoir en ouverture.
Excellent choix. Dans cette chanson, il y a des sonorités de guitares qui me rappellent le son de “Burn My Eyes” de MACHINE HEAD.
Bien sûr. Je ne peux pas le nier. MACHINE HEAD et l’album “Burn My Eyes”, quand je l’ai entendu pour la première fois, j’ai été époustouflé. Genre, personne n’avait joué de la guitare comme ça avant, ou de façon aussi accrocheuse. C’est un super album. Et puis, bien sûr, c’est comme un petit hommage à cette grande époque de MACHINE HEAD aussi.
Cet album comprend un deuxième disque, une sorte d’EP. Je n’ai pas eu l’occasion d’écouter les deux autres morceaux. Quelle est l’idée derrière ce deuxième disque ?
C’est comme un bonus qu’on voulait faire. On n’avait pas envie de l’avoir sur l’album, parce qu’avec l’intro et l’outro, ça donne vraiment l’impression que cet album est fermé. Et on ne voulait pas avoir l’outro et trois ou quatre titres bonus. Du coup, on a fait un EP supplémentaire, et ces chansons sont plutôt des morceaux punk qu’on a fait avec d’autres groupes, avec des paroles en allemand, pour mieux montrer la dimension politique de notre musique. Tu sais, on vient aussi de la scène hardcore et punk, et on écoute toujours ce genre de musique. Les paroles et l’idéologie, c’est ce qu’est HEAVEN SHALL BURN. Du coup, on ne voulait pas que ça soit sur l’album, ça aurait été bizarre.
Vous allez bientôt fêter vos trente ans. Qu’est-ce qui donne du sens à ce que vous faites aujourd’hui ? Même s’il y a toujours des messages à transmettre. Est-ce que vous vous dites que vous pourriez arrêter de faire de la musique ? Ou alors non car c’est un hobby pour vous ?
C’est ça, c’est le bon terme. C’est un hobby. Et on n’a pas besoin de voir ça comme un travail. Si tu es footballeur professionnel, et que tu joues pour un club professionnel, bien sûr, tu te demandes : Combien de temps puis-je jouer ? Peut-être jusqu’à trente-deux, trente-trois ou trente-cinq, et puis tu arrêtes. Et ensuite, tu te demandes : qu’est-ce que je fais maintenant ? Mais si tu joues au football comme un hobby, tu ne te demandes pas : Est-ce que je jouerai encore au football à quarante cinq ou cinquante ans ? Tu n’y penses pas. Et c’est pareil avec HEAVEN SHALL BURN. On ne se demande pas quand on va arrêter. D’une certaine manière, je pense qu’on fera toujours de la musique, parce que c’est notre hobby. Et si ça arrive, où ça arrivera ? Dans un petit club ou en tête d’affiche du Wacken, je ne sais pas. Mais ça arrivera d’une manière ou d’une autre, et ça n’a pas vraiment d’importance quand ça arrivera. Ce n’est pas comme ça qu’on y pense. On fera toujours de la musique, que le ciel brûle ou non…
Vous commencez bientôt une tournée de festivals d’été. Est-ce qu’une tournée suivra en Europe, peut-être en France ?
Bien sûr, en Europe et bien sûr, en France. Nos derniers concerts en France ont été géniaux, et ça prend de plus en plus d’ampleur pour nous en France. Il y a encore beaucoup de retard à rattraper. Je veux dire, en Allemagne, on est l’un des plus grands groupes de métal. En France, on a pas mal de fans, mais on n’est pas aussi connus. Donc il y a encore du terrain à conquérir en France de manière amicale, bien sûr. Donc, ça arrivera certainement. J’ai hâte.
Les morceaux de cet album sont faits pour le live. Est-ce que c’est quelque chose que vous prenez en compte lorsque vous composez de la nouvelle musique, d’avoir des titres taillés pour le live ?
Ça dépend du morceau. Une chanson comme “Empowerment”, par exemple. Être assis dans son canapé et l’écrire en une heure ou deux. Et tout d’un coup, il y a ce riff vraiment rock, un peu dansant et tu te dis que ce serait génial de jouer ça sur scène. Sans être vraiment sûr que tu vas aimer la jouer. Mais pour des chansons comme « War is the Father of All » ou « A Whisper from Above », c’est complètement différent. Tu es là, assis devant l’ordinateur, à construire la chanson, et tu joues un riff par-ci, un autre par-là, mais tu n’es pas dans l’esprit de la scène, tu es dans l’esprit de la chanson. Et une fois la chanson terminée, tu te dis : Oh mon Dieu ! Comment on va jouer ça ? Tu vois ? Il y a ces chansons de métal simples et entraînantes, mais il y a aussi ces chansons très composées et à la structure complexe, qui ne sont pas adaptées au live.
Dans quelles conditions recommandes-tu l’écoute de cet album ?
Question piège, peut-être.
Non, pas du tout.
Monte dans ta voiture sur l’autoroute allemande. Assure-toi qu’il n’y a pas de contrôle de vitesse, et mets le disque. C’est une façon amusante de l’écouter si tu peux conduire aussi vite que possible et ne blesser personne, bien sûr.
Le mot de la fin est pour toi.
On a hâte de revenir pour une tournée en France. Et en attendant, je serais très heureux si vous écoutez le disque comme un album du début à la fin, ça signifierait vraiment beaucoup pour nous. Afin de nous suivre dans le voyage que nous avions en tête avec ce disque. Ça signifie beaucoup pour chaque musicien du groupe.
Notre avis
De par son nom, “Heimat” est un album qui rappelle que HEAVEN SHALL BURN ose l’évolution sans oublier où sont ses racines. Cet album se présente en deux disques, le premier, l’album en lui-même. Avec ce son qui caractérise si bien ce que le groupe allemand fait depuis des années. Un metalcore incisif et direct qui invite à un voyage sonore sur une thématique de guerre. En effet, l’intro “Ad Arma” toute en mélancolie nous ouvre le chemin de ce “Heimat”, avant de laisser place à l’épique “War is the Father of All”, sublime. Avec ce titre, HEAVEN SHALL BURN place la barre très haute. Pour autant, la suite s’avère être largement à la hauteur avec un enchaînement violent entre “My Revocation Of Compliance” et “Cofounder”. Toujours aussi hargneux dans le chant, Marcus BISCHOFF délivre ici une de ses meilleures partitions. Après un interlude “Imminence” qui reprend le fil conducteur de cet album, c’est une nouvelle déferlante que nous prenons en pleine face. Que ce soit avec “Ten Days In May” ou la reprise “Numbered Days” de KILLSWITCH ENGAGE avec Jesse LEACH. Cet album termine de la plus belle des manières avec l’outro “Inter Arma”, comme pour rappeler que la guerre est finie. Mais si cela ne vous suffit pas, vous pourrez reprendre une nouvelle dose de HEAVEN SHALL BURN avec le deuxième disque qui ressemblerait à un EP. Au menu, des collaborations punk/hardcore en allemand pour prouver une nouvelle fois que le groupe a plus d’une corde à son arc. Mais également, que HEAVEN SHALL BURN n’oublie pas d’où il vient.