Par Christophe Pinheiro
À quelques jours de la sortie du sixième album du groupe autrichien HARAKIRI FOR THE SKY, j’ai eu l’occasion d’échanger avec JJ. Le temps d’aborder ce nouvel opus « Scorched Earth » et l’évolution du son du groupe qui évolue sans se trahir.
Votre nouvel album, « Scorched Earth » sort le 24 janvier. Quel est votre état d’esprit avant la sortie de l’album ?
Les premières réactions par rapport aux singles sont plutôt bonnes. C’est toujours important pour un artiste car c’est votre art. Mais dans mon cas, je ne me soucie pas vraiment de l’opinion, mais d’un autre côté, c’est toujours cool de trouver des gens qui peuvent s’identifier aux chansons et aux paroles parce que vous avez fait tellement d’efforts, mis tellement de sueur et de sang dans l’album. Donc c’est toujours cool. Nous avons travaillé dessus pendant 3 ans. Si les gens l’aiment, c’est un bonus. Et si ce n’est pas le cas, et que vous-même, vous en êtes content. C’est déjà une bonne chose.
Vous avez commencé à écrire cet album quelques mois après la sortie de « Maere » qui est sorti il y a 4 ans. Comment avez-vous travaillé sur la composition de cet album ?
Nous avons toujours eu le même système de composition. Matthias commence à écrire des chansons. Il commence quand il a quelques riffs, il commence à les rentrer dans Guitar Pro et il joue un peu avec pour savoir quelles parties s’assemblent les unes, les autres. Il faut que ça ait du sens. Les chansons sont finalisées selon la fréquence à laquelle nous nous voyons. Lorsque j’entends le fichier Guitar Pro, c’est la préproduction. Et puis on en discute ensemble, parce que parfois, je me dis qu’on pourrait faire en sorte qu’une partie claire sonne mieux si elle était deux fois plus longue, ou si on faisait des parties plus longues pour qu’il y ait plus d’espace pour le chant. Mais en général, la plupart des trucs qu’il écrit me vont parfaitement. Il y a juste quelques trucs qui ne me plaisent pas trop, comme un solo de guitare avec trop de notes. Je ne suis pas fan de ces trucs là. Mais il y en a peut-être un ou deux sur les albums, c’est un compromis. Si c’est une partie importante pour lui, alors on le fait. Je peux vivre avec ça. C’est un 6ème album, et nous avons appris à nous connaître mieux d’album en album. Et sur le 6ème album, nous n’avons plus besoin de discuter des parties où je suis autorisé à mettre du chant ni de celles où je ne peux pas en mettre. C’est devenu naturel. Nous n’avons jamais eu de grandes discussions parce que nous essayons toujours de nous retrouver sur l’orientation de l’écriture. Je pense que depuis « Arson », c’est devenu naturel, et l’écriture des chansons se fait d’elle-même et avance seule jusqu’à ce que ce soit terminé. Cette fois-ci, nous avons pris un peu plus de temps que d’habitude. Mais je pense que c’était le temps dont nous avions besoin. Et je ne l’aurais pas fait…personne ne l’aurait fait autrement. 4 ans, ce n’est pas si long, je pense que c’est le bon compromis.
Musicalement, vous parlez d’une évolution qui ne semble pas trahir ce que vous avez fait dans le passé. Est-ce le but recherché, ou est-ce complètement naturel ?
Nous ne nous sommes jamais demandé si nous devions changer de style ou quelque chose comme ça. C’est des choses qui se font naturellement avec les années. Nous avons commencé ce groupe il y a 13 ans voir un peu plus. Nous avons toujours eu une d’énormes influences, des choses qu’on aime toujours écouter. Beaucoup d’autres genres comme l’indie rock ou du grunge. Généralement, du rock alternatif. Vous pouvez le voir sur les reprises que nous avons faites dans le passé, comme pour PLACEBO ou RADIOHEAD, cette fois-ci. Il y a une grande influence dans ce genre de musique. Nous avons pensé que ce serait aussi une grande remise à zéro cette fois-ci. Nous voulions prendre un peu plus de temps et faire quelques expériences en studio et en général avec l’écriture des chansons. Nous ne nous sommes jamais dit que ça devait sonner différemment, mais c’est ce qui est arrivé. Et ce qui en est ressorti était totalement naturel. C’est un pas en avant. Mais je pense que 60 à 70 % de notre son est toujours du post black metal. Avec ces parties de basse, avec la guitare et un chanteur qui hurle haut et fort. Ces influences qui viennent du post-rock. Et ce sera toujours le cas, je veux dire, nous changerons peut-être, nous changerons quelques détails, mais le firmament de HARAKIRI FOR THE SKY sera toujours le post black metal.
Vous dites que cet album est la conclusion de tous les albums que vous avez fait dans le passé. Est-ce que cela signifie que vous allez commencer quelque chose d’autre dans le futur, une nouvelle direction musicale ?
Pas vraiment. Mais c’est ce sentiment de conclusion qui est venu avec la pochette en couleur de cet album. Comme vous le savez peut-être, notre concept lorsque nous travaillons avec des artistes pour les pochettes de HARAKIRI FOR THE SKY, c’est que nous voulions depuis le tout premier album, avoir des animaux sur nos pochettes d’albums. Et la première chose que nous avons eu pour cet album est le titre « Scorched Earth ». Et nous avons réfléchi à quel animal pourrait rencontrer « Scorched Earth ». Et puis j’ai eu cette idée d’un animal d’une forêt qui brûle sur la couverture avant et puis sur la couverture arrière, une ville en feu pour que nous ayons aussi ce parallèle avec le monde humain. Et puis on a réfléchi à quel animal choisir, parce qu’on a toujours dit qu’on voulait proposer des animaux qui sont originaires de cette région de l’Europe du Nord, du Centre, là où on a grandi, comme des renards, des corbeaux ou autre. Mais il n’y a plus beaucoup d’animaux dont l’esthétique convienne à un groupe de métal ou de black metal. J’aime beaucoup les écureuils, mais ce n’est pas un animal qui convient à une couverture de HARAKIRI FOR THE SKY. Donc, quel animal choisir ? Comme il n’y en a plus assez ? On a eu cette idée qui ressemblait en quelque sorte à une conclusion. On pensait rassembler tous les animaux que l’on avait sur les 5 albums précédents en une seule pochette. C’était aussi une sorte de déclaration. On avait ces 5 albums qui font partie de notre voyage. C’est notre chemin et l’objectif sur lequel nous avons atterri qui est ce 6ème album et c’est la conclusion. Et je ne sais pas ce que nous ferons avec le prochain album. Je pense que personne n’a jamais pensé à la prochaine étape dans le groupe. Nous ne faisons pas de grands pas. Nous faisons toujours de petits pas, donc je ne pense pas que le 7ème album sera un virage à 180 degrés. Nous verrons ce qui se passera dans les prochaines années.
En termes de paroles, vous continuez à parler de ce que vous appelez les 3 piliers fondamentaux de la vie, à savoir l’amour, la vie et la mort. Avec l’expérience de la vie, vous avez une approche complètement différente de ce sujet, comme nous tous, finalement. Comment gérez-vous cela ?
C’est une chose différente, c’est la façon dont je gère cela. Je veux dire, quand tu es un gars mélancolique, ou peut-être même déprimé, il y aura toujours quelque chose qui te fera réfléchir ou qui te rendra triste. Mais comme tu le dis, ce n’est pas juste en mangeant, en prenant des pilules ou quoi que ce soit. Je trouve beaucoup de paix dans les montagnes où j’ai grandi. Et bien sûr, dans la musique et l’art qui sont une très grande partie de ma vie. Et écrire des paroles aussi prophétiques, je pense que la plupart des artistes ont cette démarche. Mais pour moi, ça a toujours été une catharsis. Quelque chose qui a dû sortir de l’intérieur et m’a laissé un peu plus de paix intérieure. Ma femme dit toujours, qu’elle pense que je ferai toujours quelque chose comme, écrire des chansons ou écrire des paroles, et ça ne changera pas dans les prochaines années. Mais nous verrons. Mais je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles je fais ça avec autant d’intensité et de sensibilité depuis si longtemps parce que j’en ai besoin pour garder mon esprit en bonne santé.
J’aime beaucoup cet album. Les compositions sont incroyables, mais j’aimerais parler de la reprise de RADIOHEAD « Street Spirit (Fade Out) ». Je ne sais pas si je dois vous féliciter ou vous remercier, peut-être les deux, parce que vous avez sublimé cette magnifique chanson.
Merci.
C’est très puissant en émotions. Je ressens tellement de choses en l’écoutant. Raconte-moi comment vous est venue l’idée de cette reprise. Car pour moi, c’est mieux que l’original, ce qui est très rare pour une reprise.
Il y a des grands mots lorsqu’il s’agit de Radiohead. Là aussi, c’est un peu comme le truc animal. Pour nous, c’était clair dès le premier album. Si on faisait un titre bonus ou une reprise, on ne ferai pas de chanson d’un groupe de black metal ou autre chose du genre. Quelque chose qui ressemble trop à notre propre musique. Il y a déjà assez de reprises sombres qui transitent. Donc c’était toujours clair pour nous sur quoi on voulait travailler. Comme des chansons de rock indie ou de grunge, et les mettre dans ce contexte de son typique de HARAKIRI FOR THE SKY. Pour lui donner notre propre style. La dernière fois, nous avions fait une reprise de PLACEBO, ce qui était plus ou moins mon idée. Du moins, la chanson en elle-même était mon idée. Et cette fois-ci, Matthias est devenu depuis quelques temps, un grand fan de RADIOHEAD et de PORTISHEAD. Et il a trouvé ça avec cette chanson. Au début, je n’étais pas sûr, parce que les albums que nous aimons de Radiohead sont différents. Ce n’est pas que je n’aime pas les albums qu’il écoute ou l’inverse, mais les albums de Radiohead qui sont les plus importants pour nous ne sont pas les mêmes. Et il a eu l’idée de « Street Spirit (Fade Out) », qui est une très bonne chanson. Et je pense que c’est aussi l’une des chansons les plus populaires de RADIOHEAD. Mais je n’étais pas sûr. Il m’a dit, « Attends, j’enregistre quelque chose, une version brute. Et puis on en parlera. ». Je n’étais pas totalement convaincu. Et finalement, j’ai vraiment adoré la façon dont il l’a interprétée. Dans la première partie de cette chanson, cette partie de guitare, il y a une certaine distorsion dessus, ça pourrait facilement être un riff de HARAKIRI FOR THE SKY. Je pense que ça colle parfaitement à notre style. Avec les voix claires, je pense que nous avons réussi à faire un très bon mélange entre l’original et notre version. Il y a des voix claires et je pense que si les voix principales étaient hurlées, ça aurait été un peu trop. Ça se serait un peu trop éloigné de la version originale. Je pense que nous avons fait un bon compromis. Et c’est une version HARAKIRI FOR THE SKY sans être trop loin de l’original. J’aime aussi beaucoup la version finale.
Vous venez de sortir la vidéo du titre « Keep Me Longing ». Les paroles sont bouleversantes. La vidéo est oppressante et belle en même temps. Pensez-vous que c’est ce qui caractérise HARAKIRI FOR THE SKY ?
C’est une vidéo qui est complètement différente de ce que nous avons fait dans le passé. C’est beaucoup de sang, tout ce sang, ce comportement autodestructeur et aussi certaines scènes violentes, comme celle où je m’arrache l’ongle… C’est un peu comme dans un film d’horreur. Donc c’est assez nouveau pour nous. L’idée derrière la vidéo était de comparer différents personnages dans différents contextes. Des personnes qui gèrent la perte ou le désespoir… D’un côté, il y a ce type qui part à la montagne ou dans les bois et qui, par solitude, se détruit lui-même. Et de l’autre, c’est le gars extraverti, de la grande ville, qui se détruit lui aussi. C’est très extrême des deux côtés. Et c’est ce qu’on voulait faire avec la chanson et avec cette vidéo. Comparer deux extrêmes.
Un mot sur la magnifique pochette de cet album. Qui a travaillé sur cette pochette ?
C’est un gars du Brésil, appelé Bruno Gonzalez. Il est à l’origine tatoueur. Je crois à Belo Horizonte. Matthias est un grand fan d’Amérique du Sud, et il y est déjà allé plusieurs fois, en particulier au Brésil. Je ne suis pas sûr de l’endroit où il l’a rencontré, soit à un concert ou dans un bar de métal ou quelque chose du genre. Et ils sont devenus amis. Pour la nouvelle pochette, nous avons essayé de trouver quelques artistes. Chacun d’entre nous trainait sur Instagram, pour voir si on trouvait quelqu’un qui fasse des dessins qui correspondent. On ne trouvait pas ce qu’on recherchait. Et Matthias a eu l’idée de Bruno, qui est à l’origine, comme je l’ai dit, un tatoueur. Et les choses qu’il tatoue sont pour la plupart assez diaboliques et maléfiques. Ce n’est pas vraiment quelque chose qui correspond à HARAKIRI FOR THE SKY. Lorsqu’il a eu l’idée des premiers dessins, j’ai tout de suite vu qu’il pouvait faire les deux, qu’il pouvait dessiner des trucs comme ça, et aussi faire des tatouages diaboliques. C’était aussi très facile de travailler avec lui. C’est un dessin qui correspond aux paroles. Je suis ouvert à la créativité, on lui a donné les paroles, et il a fait son travail. Et j’aime beaucoup ce qui en est ressorti. Et c’est toujours cool quand vous avez des esprits créatifs qui se rencontrent pour exprimer et combiner l’art d’autres personnes, comme la musique, la peinture et les paroles. J’appelle ça un triangle. J’aime beaucoup quand ça fonctionne comme ça.
Dans quelles conditions recommandes-tu l’écoute de cet album ?
J’aime beaucoup l’écouter en voiture. Même si je n’ai pas les meilleurs haut-parleurs. Mais si l’album sonne bien sur les haut-parleurs de votre voiture, alors vous pouvez l’écouter comme ça. Et aussi quand je suis de bonne humeur.
NOTRE AVI
Le duo autrichien est de retour avec un sixième album très attendu. « Scorched Earth » marque une évolution dans la créativité du groupe. Pour autant, cela n’indique pas de changement dans le style musical. HARAKIRI FOR THE SKY nous régale toujours de son mélange de black metal et de post-rock. Place aux gros riffs puissants dès le premier titre « Heal Me » né d’une collaboration avec AUSTERE. Que ce soit sur des titres comme « Without You I’m Just A Sad Song » ou « With Autumn I’ll Surrender », le groupe nous délivre des ambiances mélancoliques voire envoûtantes. JJ, avec sa voix écorchée, nous fait voyager dans un univers souvent très sombre, mais toujours avec une touche d’espoir quoi qu’il advienne. Le single « Keep Me Longing » est un bon exemple de la prouesse musicale dont le groupe a su faire preuve sur cet album. Et que dire de la magistrale reprise de RADIOHEAD, « Street Spirit (Fade Out) » avec GROZA qui met à l’honneur les voix claires et toute la douleur qui ressort de cette chanson fabuleuse.
Avec une excellente production et une superbe pochette, HARAKIRI FOR THE SKY vient de signer un excellent album qui saura ravir les amateurs du genre.