Vecteur Magazine

DAVID EUGENE EDWARDS

Par Christelle Bourdoux Weber

Photographie de David Eugene Edwards

David Eugene Edwards est à la musique ce que le «sanctus sanctorum» matérialise dans le domaine de la spiritualité : le naos du temple, le tabernacle qui renferme l’essence sacrée, le cœur du sanctuaire qu’il soit en nous ou autour de nous. L’auteur-compositeur et fondateur de 16 HORSEPOWER ainsi que de WOVENHAND n’est autre qu’une des pierres angulaires du Denver Sound. Ce multi-instrumentaliste distille dans nos ouïes des mélodies au carrefour de la folk et de la cold wave teintées d’orchestrations industrielles. Il est depuis 30 ans l’artisan d’une  fusion  sonique dont lui seul en a l’étoffe, dégageant un hermétisme certain véhiculé par des paroles religieuses ou cultuelles oblitérant une forme d’ordinaire à la réalité brute.

Cet automne, sous les auspices d’une lune pleine, D.E.E. enfante de « Hyacinth », son premier album solo. Tel la Pythie en l’adyton, David Eugène nous a livré quelques éléments afin de frôler du bout des doigts les fondements énigmatiques de cet opus majestueux produit par Sargent House…

 

Tu es un artiste d’exception dans le paysage musical alternatif, ayant toujours su apporter une dimension particulière dans chaque groupe que tu as formé. Avec «Hyacinth», ton premier album sorti à ton nom, comment s’est passée la collaboration avec autrui dans un travail où tu restes meneur et apportes la quasi totalité du matériel musical ?

Ce n’est pas nécessairement difficile. C’est simplement la question de travailler avec des personnes que j’admire et qui plus est, des gens pour qui ce que je crée compte au point d’avoir la volonté d’y apporter leur propre voix.

 

«Hyacinth» se présente comme un écho poétique au mythe apollinien de Hyacinthe. C’est une forme de tragédie flirtant avec mort, jalousie, sang et lumière, des thèmes plutôt récurrents dans tes écrits. Quelles furent tes sources d’inspiration ? Lilium, le projet de Pascal Humbert ton accolyte d’autrefois (16 HORSEPOWER) est aussi le nom d’une fleur, le lys, cette fois, appartenant à la même famille que la  hyacinthe. Peut-on y voir une forme de fraternité éternelle au travers ce lien, un pont avec le passé ?

Oui, il est vrai que je perçois le monde qui m’entoure , du passé, du présent et de l’avenir, d’une manière hermétique. Les courants de pensée, les cycles de la vie et de la mort que j’ai observés, les relations entre l’Humanité et l’univers  lui-même. J’aime le mot «Hyacinth», sa signification (étymologie), la façon dont il résonne, ce qu’il apporte à l’esprit par ce son… Et bien sur, le mythe d’Apollon et ces symboles d’expériences communes de vie sur cette planète.

 

Les visuels de «Hyacinth» on été élaborés par Dehn Sora (Vincent Petitjean). Comment cela a-t-il pris place? Et de quelle façon avez-vous eu l’idée qu’il t’accompagne musicalement lors de la tournée européenne qui se déroule actuellement ?

Nous avons commencé à travailler ensemble sur le titre «Fab Tool» que j’ai réalisé avec le groupe de CARPENTER BRUT. Vincent a collaboré bien des fois avec eux et à la suite de cela, il a créé la vidéo de la chanson «8 of 9» du dernier album de WOVENHAND, «Silver Sash». J’aime aussi bien son travail visuel que musical. Il a naturellement été la première personnes à me venir à l’esprit pour m’assister dans les live settings de «Hyacinth». C’est un être fantastique d’un point de vue humain.

 

Dans la conception de cet opus, tant dans les paroles que dans l’expérience sonore, tu as exploré différents cultes et religions, qu’ils soient antiques ou contemporains. D’une part, tu conserves un fondement chrétien très puissant tout en ouvrant un solide portail sur une forme d’universalisme spirituel. Il y a pléthore de mentions se rapportant aux «cultes à mystères» comme celui de Mithra, d’Apollon, Dionysos ou Isis… Ces obédiences n’ont toujours pas livrés tous leurs secrets et s’adressaient aux initiés. Comment t’es-tu intéressés à ce pendant aussi hermétique de la dévotion ?

Je trouve toutes ces mythologies et cultes à mystères complètement fascinants, des quatre coins du globe, dans leurs similarités et leur quête commune. Je crois qu’ils représentent, pour beaucoup d’entre eux, une forme précoce d’explorations scientifiques et de compréhension du monde dans son fonctionnement.  Cela comprend l’étude de la terre et du cosmos, de la nature humaine, et de sa relation et de sa place dans celui-ci.

Couverture de l'album Hyacinth de David Eugene Edwards

Depuis longtemps, nous te connaissons une fascination pour  le chamanisme/l’animisme des peuples natifs américains. Le lien entre le pow-wow et la fosse taurique dans le mithraïsme t’a-t-il frappé ?

Comme je le disais à l’instant, je vois toutes ces idées comme un sens commun d’une culture à l’autre, toutes résultant des recherche de l’espèce humaine dans le but de comprendre et dans le désir d’établir une relation consciente avec ce processus.

 

«Lionisis» est le premier single de l’album, tu y parles de :  «jangling lesser keys» de «Rose of Charon». Des éléments bibliques très poétiques et plein de sens. Tu portes d’ailleurs toujours des clés comme une signature terminant ton look où rien n’est laissé au hasard…

Il est difficile d’expliquer ce que les paroles signifient, même dans mon propre esprit. Mais je ne m’en fais pas pour ça. Je brosse une représentation picturale abstraite et je la laisse devenir ce qu’elle désire et se muer dans son sens et progresser dans le temps. «The jangling lesser keys» est une phrase à propos de la fermeture d’esprit, de l’arrogance et de la bigoterie. Lionisis fait référence à la nature, sa destruction perpétuelle et sa renaissance éternelle. C’est aussi un clin d’œil à Dionysos et les idées similaires qui s’y rapportent.

 

Les influences stylistiques de «Hyacinth» sont fouillées : de la folk classique comme psychédélique, de la coldwave, de l’industriel, avec quelques mélodies aux accents natifs américains voire méditatifs… Comment as-tu rendu la globalité aussi harmonieuse et hétérogène? Qui a peaufiné cela et installé les arrangements ?

J’ai  écrit et enregistré les chansons à la maison, moi-même, aussi loin que j’ai pu. J’ai envoyé le tout à mon ami Ben Chisholm dans le but qu’il y ajoute l’orchestration que je voulais avoir. Il possède bien du talent dans ce domaine et il se préoccupe de ce que je crée, donc je savais qu’il traiterait tout cela avec un grand respect et une belle créativité.

 

«The Cuckoo» est  une reprise brillante d’un titre traditionnel, tu lui donnes littéralement vie. Cette chanson a une résonance personnelle ? Certaines prises du clip vidéo me font penser à «Drover» de Bill Callahan/Smog, un hommage dissimulé ?

Bien, j’ai toujours apprécié la chanson qui est un incontournable pour tous ceux qui s’intéressent aux débuts de la musique folk américaine. La version connue aux États-Unis traite de la révolution américaine mais ses racines sont plus profondes dans le folklore britannique et sont possiblement antérieures à 1700.  J’adore Bill Callahan de manière absolue. J’aime tout ce qu’il a produit. Je ne pense pas que les USA aient porté meilleur auteur-compositeur.  Mais il n’y a aucune corrélation consciente entre les deux.

 

Tu es le petit-fils d’un prêcheur et le fils d’un biker, élevé dans une foi relativement sectaire. Adulte, te voici artiste, musicalement et spirituellement empreint d’une forme d’universalisme. «Hyacinth» revêt des allures de bande son transcendant l’«Éveil» de l’auditeur. Que conserves-tu des enseignements de ces deux figures paternelles?

J’essaie de garder les bonnes choses qu’ils m’ont transmises et de me tenir loin de toute chose négative émanant d’eux, et il y en a pas mal.

 

Au fil des années, tu es loyal aux mêmes instruments : ta guitare classique, ton mythique banjola, ta Gretsch Tennessee Rose, et ta copie de Mosrite. Quelle est cette relation que tu entretiens avec ce matériel ?

En ce moment précis, je peux uniquement tolérer les instruments classiques (cordes nylon). Je ressens le mélange de ces deux-ci (guitare acoustique et  banjola).

 

Ta voix est l’un de tes principaux outils, le fil rouge de toutes tes productions, riche de maturité et de subtilité. Travailles-tu celle-ci ? Comment trouves-tu tes mélodies de chant et de quelles manières les articules-tu ?

Non, je suis autodidacte et je ne m’entraîne pas, je fais les choses sur l’impulsion sans exercer aucun contrôle, bien que j’aie essayé de conserver un registre vocal plus bas que celui que j’observais dans le passé.

 

En tant qu’artiste multidimensionnel as-tu d’autres projets ou collaborations en latence ?

Présentement, l’idée est de poursuivre dans la voie que j’ai ouverte avec «Hyacinth» et de continuer dans cette veine, je suis enthousiaste à cette idée. J’espère pouvoir réaliser ça avec Vincent car nous aimons tout autant collaborer que la compagnie l’un de l’autre.