26.11.2022
Par CAROLE CERDAN
C’est un évènement assez particulier auquel je suis conviée ce 26 novembre 2022 en soirée. En effet, je ne vais pas me rendre dans une salle de concert, c’est le concert qui va venir jusque chez moi !
En effet, Daniel Tompkins, chanteur et compositeur du célèbre groupe de metal progressif TesseracT, nous propose ce soir de le voir jouer son album « Ruins » à travers nos écrans. Cette démarche originale répond à la demande forte de ses fans, qui n’ont pas pu le voir déployer son oeuvre en pleine pandémie de covid, ni assister à la tournée au Royaume-Uni post confinement.
Qui dit concert dit forcément musiciens, et Daniel est venu bien entouré : nous aurons donc son complice dans TesseracT, Amos Williams (basse), Paul Ortiz (guitare, cerveau de Chimp Spanner, et qui a aidé à l’écriture de « Ruins » au même titre que Plini ou Matt Heafy de Trivium), Mike Malyan (batteur – Monuments) et Pete Skipper (bassiste dans In Colour, mais à la guitare pour l’occasion).
Nous voilà partis pour presque 40 minutes d’immersion dans l’album « Ruins » au Kinetic (Royaume-Uni). Le show a été filmé en janvier 2022 par Richard Oakes (Dark Fable Media), et Tom Campbell (MIRRAD) a assuré les jeux de lumières. Paul Ortiz a mixé le son, et Daniel a mixé le chant, ils ont ensuite travaillé ensemble pour le mix final.
Chaque morceau, annoncé sur l’écran par son titre, est enchaîné dans le même ordre que sur l’album.
Nous aurons donc « Wounded Wings » pour ouvrir le spectacle, où la voix pure et puissante de Daniel est portée par une musique planante, jusqu’à une montée en tension vers le premier cri du chanteur. Vient ensuite « Ruins », où la mélodie s’écoule comme une sombre rivière et où les rythmes percutants s’associent à des riffs aux accents djent, jusqu’à une fin émouvante en la voix saturée de Daniel. « Tyrant » bénéficie d’une basse lourde et d’une ambiance riche, avec un beau solo, puis « Stains of Betrayal » expose la riche versatilité de la voix de Daniel, entre chant clair et saturé. « Empty Vows » nous replonge dans une ambiance plus lourde, où la basse est solide (à noter aussi le 2e solo du set). Avec « Sweet the Tongue », le set se permet une incursion enrichie de touches électroniques, là où « A Dark Kind of Angel » nous ramène vers des univers sombres et mélodiques. Le set s’achève sur le nerveux « The Gift », et Mike se permet un habile jet de baguettes.
Cette expérience, puisque ç’en est une, nous a projetés en situation de 4e mur, comme au théâtre : nous faisons face au groupe, nous sommes séparés d’eux par notre écran. Mais là où on pourrait regretter de ne pas bénéficier de ce qui fait le charme d’un concert en live (l’ambiance d’un public, les interactions…), nous bénéficions d’un son d’une qualité extraordinaire, de jeux de plans coupés et enchaînés sur chaque protagoniste, nous n’en ratons pas une miette, comme lors de ce superbe plan par en-dessus qui nous permet de survoler la batterie de Mike et d’apprécier ses frappes précises et techniques.
Juste après la diffusion du concert, nous retrouvons Daniel et ses musiciens pour une visio en direct. Et c’est là que l’expérience est totalement unique et extraordinaire : peu de spectateurs ont la chance de pouvoir assister à un concert de leur idole et d’aller ensuite échanger avec elle. C’est ce que propose Daniel Tompkins, et il a pour cela pensé à tout : il a proposé de poster des questions via son Discord en amont de la soirée, et il va maintenant y répondre.
Cette séquence est l’occasion de constater la complicité entre Daniel, Amos, Paul, Mike et Peter. Nous en apprenons plus sur les difficultés techniques liées à ce format, comme par exemple l’incompatibilité dans le mix entre le chant et les coups de caisse claire, parce que le micro repiquait le son de la batterie, en particulier sur « A Dark Kind of Angel ».
Daniel revient aussi sur la raison d’être de ce format et précise que le groupe n’a pu faire que deux répétitions seulement avant cet enregistrement. Paul révèle qu’il n’a jamais transmis les tablatures à Pete, qui a dû tout apprendre à l’oreille. Pete explique alors, non sans humour, que c’était difficile à la basse, mais qu’il s’en est sorti à la guitare (alors qu’il est bassiste dans son groupe actuel, rappelons-le…).
Concernant le processus d’écriture de « Ruins », Daniel nous raconte que l’album est bâti sur les ruines (justement) du projet « Castles » desquelles il a voulu concevoir un projet plus sombre guidé par le chant. Les paroles sont coécrites avec Edie Head, la musique est coécrite avec Paul Ortiz dont Daniel a toujours adoré l’approche. Paul précise que ses influences très mélodiques lui ont été transmises par ses parents, avec une préférence pour l’ambiance par rapport à une approche par des riffs purs, d’où ce rendu plus « prog » au final.
Nous avons vraiment l’impression d’être en soirée visio avec des amis, surtout quand arrive une question de fan qui loue la grande classe d’Amos, qui se retrouve malencontreusement (ou heureusement ?) déconnecté au moment de répondre. S’en suit une blague entre eux sur des chaussures, avant le retour d’Amos qui concède qu’il a probablement un don (et beaucoup d’humour, au passage). Il répond plus sérieusement que son jeu de scène suppose qu’il se mette totalement dans une bulle, et que ce qu’on pourrait prendre pour une attitude « cool » tient quasiment de la méditation pour lui.
La question suivante les interpelle sur l’industrie de la musique d’aujourd’hui : alors qu’il n’y a jamais eu autant de facilité à accéder à une offre pléthorique de musique, les artistes ont beaucoup de mal à se démarquer. L’auteur de la question demande leur ressenti à Daniel et l’équipe. Pour Mike, tout est affaire de timing et l’essentiel reste de ne pas perdre la musique de vue. Paul complète en disant qu’à partir du moment où on conçoit la musique comme un moyen de gagner de l’argent, on perd déjà l’essence de son art. Il pense que la musique a même un coût élevé pour avoir un bon niveau de production, il faut donc réfléchir aux compétences requises et se donner les moyens de les développer, dans des domaines de plus en plus larges. Daniel fait ainsi le parallèle avec la somme de travail qu’a représenté ce projet, au delà de simplement s’attacher au chant, puisqu’il a dû se confronter à de la gestion de projet ou aux questions de logistique.
Interrogé à l’occasion de la question suivante, Mike explique que les parties de batterie de « Ruins » ont été conçues sur ordinateur par Paul, mais que celui-ci a vraiment une approche réaliste au service de la musique. Mike a eu la mission de s’approprier les idées de Paul, en valider la « faisabilité », rester fidèle à la vision de Paul, tout en apportant sa touche personnelle dans l’interprétation.
Enfin, la session se termine sur une question leur demandant quel rôle joue la musique dans leur vie. Pete parle de bienfaits thérapeutiques, cathartiques, et du fait que c’est le bonheur des moments en concert qui est son principal moteur. Mike considère la musique comme une échappatoire au quotidien, et exprime sa gratitude d’avoir pu contribuer à ce projet. Amos confie qu’il est toujours sidéré des effets que sa musique peut avoir sur les spectateurs et qu’il apprend à l’accepter petit à petit, ce que Daniel confirme avoir pu constater également grâce aux retours de fans.
Vient le temps des remerciements, et Daniel nous annonce que cette équipe de choc devrait être amenée à se reformer sur un futur projet.
Pour ma part, ce format est une réussite à plusieurs niveaux : nous avons eu droit à une expérience totalement unique, une immersion dans l’univers musical de Daniel Tompkins en configuration de concert puis à travers une visio intimiste, et cela donne clairement envie de réécouter l’album « Ruins » sous l’éclairage de ces moments d’échanges complices. Cela donne aussi l’envie de vivre le frisson d’un concert live de l’artiste dès que l’occasion se présentera. Bravo !