Vecteur Magazine

CODE ORANGE

15.06.2023

Par Valentin Pochart, photos d’Alexandre Farret

Alors que le Hellfest battait son plein le jeudi 15 juin dernier, j’ai reçu un SMS m’indiquant qu’une interview était confirmée : j’allais pouvoir échanger avec Jami Morgan, frontman d’un des groupes les plus chauds du moment, qui venait d’ailleurs d’ouvrir le festival sur la Main Stage 2 : CODE ORANGE. L’album n’ayant pas encore été officiellement annoncé, voici notre discussion autour du live et des deux singles sortis à ce moment-là : « Grooming My Replacement » et « The Game ». Nous parlerons d’ailleurs de l’album lors d’une deuxième interview qui sortira dans notre prochain numéro papier. Restez connectés !

Vous venez de jouer il y a quelques heures, comment était le concert ?

Jami : C’était génial ! On a passé un super moment, et il y a eu beaucoup d’énergie dans le public ! J’étais fatigué parce que je ne pouvais pas m’entendre dans les retours, ils étaient peut-être cassés, mais on a fait le show, c’était un moment fun !

Vous avez d’ailleurs joué « Grooming My Replacement » en live pour la première fois pour ce concert, je crois ?

Oui ! C’était la première fois qu’on la jouait en live, c’était fun mec ! [Il me montre sa blessure sur la jambe, faite pendant le concert] Regarde tout ce sang ! J’avais du sang sur toute la jambe, j’ai regardé en bas et je me suis dit « oh oh »…

Oh merde ! Ça va mieux maintenant ?

Oui, oui, les concerts de CODE ORANGE sont toujours très sanglants, en tout cas de notre côté (rire) !

A vrai dire, la dernière fois que je vous avais vus, c’était en 2017 avec KILLSWITCH ENGAGE, ANTHRAX et THE DEVIL WEARS PRADA…

Oh cool ! En Amérique ? C’était une tournée difficile, parce qu’on devait jouer très tôt. On devait même parfois littéralement jouer devant une salle vide, mais c’était une époque sympa !

Vous venez de sortir « Grooming My Replacement » et « The Game », et j’aime beaucoup les deux. Je pense d’ailleurs que « The Game » est ma préférée des deux à cause de sa violence pure. Et les paroles évoquent le fait que les gens sont facilement manipulés. Je me suis posé pas mal de questions sur les paroles, notamment la partie sur « la main qui nourrit », et je me suis demandé comment sort-on de ce « jeu » et comment le change-t-on ?

C’est une bonne question, et à vrai dire, je ne sais pas. La chanson parle effectivement de se sentir comme une marionnette dans un jeu malsain. Je l’ai appelée « The Game » parce que je regardait à ce moment-là le film « The Game » de DAVID FINCHER, qui est génial. Ça parle d’un mec à qui l’on fait croire qu’il vit une situation dingue et horrible, mais il se trouve que c’est une manipulation, sous l’apparence de quelque chose de drôle, de fun. Donc je ne sais pas comment on coupe ces cordes, mais je pense que ça peut se faire en changeant les choses. Et pour nous, ça peut se traduire par de la musique qu’on sortira peut-être bientôt (l’album a été annoncé un mois plus tard, ndlr).

« Grooming My Replacement » peut faire penser aux débats sur les agressions qu’on voit beaucoup ces derniers temps, et le duel de vérités qui en découle…

Alors ça ne parle pas vraiment de ça (rire), mais je comprends pourquoi tu as fait ce lien. Car si on sort le mot « grooming » de son contexte, ça peut y faire penser. On vit beaucoup ce qu’on raconte dans cette chanson, car le monde est différent maintenant. Chacun vit dans sa bulle et la technologie mène à ça. C’est plus facile de viser et  manipuler quelqu’un quand il est dans sa grotte. La vérité a deux côtés, c’est le thème principal de la chanson. L’un est à moi, l’autre est à toi. Et plus tu entends quelqu’un répéter la même chose encore et encore, plus ça devient ta réalité. Et c’est difficile de trouver du sens là-dedans parfois. Surtout quand tu parles d’art, et que tu parles de musique. Il y a toujours le prochain truc, le prochain groupe, et même si ce n’est pas de meilleure qualité, malgré les meilleurs efforts de chacun, les gens n’approchent plus vraiment l’art, et surtout la musique heavy, comme ils le faisaient avant, en prenant le temps et en construisant ce puzzle. C’est un peu à propos de cette frustration aussi, d’être toujours sur le point d’être remplacé. Et ce que la dernière personne dit devient la vérité de la suivante, et c’est déformé au fur à mesure, ça peut changer ta vie.

C’est un peu sur cette concentration à toujours rechercher la nouveauté sans apprécier ce qu’on t’a donné, donc ?

Ouais, et j’ai l’impression que c’est aussi sur la régurgitation, les gens sortent des trucs qui ne s’en iront jamais vraiment, surtout au niveau de leur empreinte sur internet. C’est là à tout jamais. C’est un drôle de monde et ça affecte les choix que nous faisons. Ça crée un genre d’effet domino. Mais même dans ta bulle, ton petit monde, tu te questionnes un peu parfois. Tu te demandes si tu fais les choses pour une raison énoncée par quelqu’un d’autre, que tout le monde semble croire. Ton esprit est déformé, c’est confus, ce n’était pas comme ça avant. Je pense qu’on perd en qualité, surtout dans la musique heavy où il faut des nuances. Et beaucoup des groupes à l’affiche aujourd’hui, les groupes un peu plus vieux, sont presque tous en haut de l’affiche, à part deux ou trois. Et beaucoup ont eu le temps de construire quelque chose qui a plusieurs niveaux comme un oignon. Beaucoup des trucs plus récents n’ont pas ça, parce qu’il n’y a pas le temps ou l’envie de le faire.

Je vois ce que tu veux dire, par exemple les MELVINS qui sont à l’affiche dimanche ont vraiment tout changé plusieurs fois dans leur carrière !

Ah, les MELVINS sont géniaux ! Ils ont un vrai catalogue d’art. Même SLIPKNOT, PANTERA… Leurs albums ont demandé beaucoup de travail pour en arriver-là. C’est peut-être juste ce que j’aime moi, mais les nouveaux trucs ne me plaisent pas.

 

Après ces deux chansons, y aura-t-il plus de nouveaux morceaux bientôt ? (Le nouvel album n’était pas encore annoncé, ndlr)

Il y en aura, bien sûr ! Mais on aime faire les choses d’une certaine manière, on aime aller à gauche quand les gens pensent qu’on va aller à droite, et vice versa. Ça fait partie de ce que j’aime là-dedans. Tu sais, je pense que ce côté subversif est fun. Et pour nous, c’est difficile car ça peut nous amener beaucoup de négativité. Les gens pensent qu’on va faire quelque chose en suivant une certaine trajectoire et on ne le fait jamais. Au final, le secret c’est que même si tu as aimé ce qu’on vient de faire, tu n’aimeras peut-être pas le suivant, on verra ! Mais j’espère qu’un jour les gens verront tout ça comme une seule image, il n’y a pas qu’une direction pour nous.

‘Unerneath’ avait effectivement pas mal surpris parce qu’il était un peu plus « doux » par moment…

Parfois oui, les gens le disent, mais les trois premiers morceaux sont parmi les plus puissants qu’on a faits ! Et c’est un peu notre problème, on est trop fous et hard pour ceux qui veulent de la douceur, et quand on va vers du mélodique, les amateurs de choses plus folles et hard sont frustrés. Parfois, je suis un peu coincé entre les deux et je ne sais pas quoi faire.

Je n’étais pas frustré par ça, à vrai dire, j’ai bien aimé ‘Underneath’.

Merci, ça fait plaisir à entendre ! On a ce genre de retours parfois, mais il y a aussi des gens qui aiment et comprennent ce qu’on fait.

J’aime beaucoup le côté innovateur et complexe de votre musique, à vrai dire. Comment écrivez-vous généralement une chanson de CODE ORANGE ? Du point de vue de l’auditeur, ça semble très complexe !

C’est très différent d’album en album et de chanson en chanson. Pour beaucoup de ce qu’on a fait récemment, on a commencé par travailler sur des démos sur ordinateur, puis en salle de répétition. On leur a donné forme, puis quand on les a enregistrées, on l’a fait de manière brute et toutes en même temps, puis on y a mêlé les éléments de programmation, pour avoir un son plus chaud sans sacrifier l’innovation. Mais les deux morceaux qu’on a sortis sont plutôt bruts. « The Game » prend plusieurs directions différentes, mais je veux que les gens voient tout le tableau, et je veux voir ce qu’ils pensent à ce moment-là. Car je pense que ce sera plus facile de donner un jugement positif ou négatif. Mais on arrive avec nos idées, Reba ou Shade arrivent souvent avec des idées, je décris des choses visuellement pour qu’on voie où je veux aller, puis on essaie d’avancer dans cette direction. On fait plein de riffs et on les travaille d’énormément de manières !

Quel est le plus gros défi à relever quand vous combinez toutes ces idées et tous ces riffs ?

Pour moi, le plus grand défi est de maintenir la cohérence. Ça réside dans le fait de garder une ligne directrice. On joue avec beaucoup de styles musicaux et pour certains, ça doit sonner comme un bordel sans aucun sens. Mais que ce soit esthétiquement, que ce soit au niveau du son, ou de motifs qui reviennent, ou que ce soit au niveau d’idées dans les paroles, j’essaie de construire des lignes directrices. Par exemple, un truc qui se passe sur le deuxième morceau peut ressurgir sur le septième, et progressivement l’idée de genre commence à disparaître  et ça devient comme regarder un film. En tout cas, je l’espère. En fait, on essaie de créer un arc narratif pour chaque album. D’ailleurs, on s’inquiète souvent de la tracklist deux ans avant la sortie ! C’est comme ça qu’on fonctionne. Certains n’aiment pas ça et font juste des chansons, et je le respecte.

Je me demandais, puisque ‘Underneath’ est sorti en 2020, quand avez-vous commencé à travailler sur les deux nouveaux morceaux et sur ce qui approche ?

Il est sorti en mars 2020, et le covid est arrivé pile à ce moment-là. Le week-end où il est sorti, le covid est arrivé ! Donc on a passé environ un an à essayer de faire quelque chose en ligne. On a fait trois livestreams, l’un était l’album en live, un autre était un genre de MTV Unplugged mélangé à un film d’horreur « found footage », et le troisième était une projection immersive à la Blade Runner. Et quand on a fini, rien ne s’est ouvert, donc on a commencé début 2021. On a travaillé sur tout ça pendant environ deux ans, on verra ce qui en ressort !

Tu viens de parler des livestreams, est-ce que vous pensez faire une expérience un peu immersive comme ça en live à l’avenir ?

J’aimerais beaucoup amener ces choses dans notre production ! J’aimerais que ce soit notre concert, mais on devra gagner en popularité !

Vous avez déjà pas mal de choses sur scène !

On a tellement d’idées, mais on a plein de trucs sur scène. Si on arrive à un moment de notre carrière où on clôture une des scènes de ce festival, je te promets que ce sera un concert tellement cool et immersif que ça aidera les gens à rêver ! Je pense que ça devrait être ça. Mélanger la violence, l’énergie et le danger à l’électricité et l’art… J’espère qu’on pourra faire ça !

Ça doit être galère d’adapter vos chansons pour vos concerts au vu du nombre de pistes de guitares, de claviers et d’électroniques. Comment travaillez-vous là-dessus ?

C’est beaucoup de travail. Ça peut être même frustrant. On doit beaucoup répéter et apporter beaucoup de matériel, car ce qu’on fait est très live. Mais il y a aussi beaucoup d’éléments électroniques, notamment des éléments joués en live. Les choses doivent bouger tout le temps, au niveau du volume… Donc on essaie toujours d’être meilleurs pour ça. Mais c’est dur quand on n’a pas d’argent. Je pense que la vision est plus grande que la ressource, on essaie juste de faire du mieux qu’on peut.

Quelle chanson du concert du jour correspond à ton humeur aujourd’hui ?

Mon humeur plus tôt aujourd’hui aurait été « Grooming My Replacement », car j’étais plutôt énervé, mais maintenant… Je suis plutôt détendu donc peut-être notre chanson « Dreams » 1 et 2, qui était une version heavy d’une chanson d’un des livestreams. Sur celui-ci, on avait combiné deux de nos morveaux en un pour un medley acoustique, puis on l’a repris et on en a fait une version heavy. On mélange toujours un peu tout ce qu’on fait donc je vais dire celle-là, je suis plutôt relax.

Et laquelle as-tu hâte de jouer quand tu t’apprêtes à jouer un concert ?

« Grooming My Replacement », sans hésitation. Tout le reste, on l’a pas mal joué. Même s’il y a quelques versions revisitées de chansons qui sont fun. On a sorti un album de remix il y a un moment et on fait une version live d’une de ces chansons, on a aussi quelque chose de notre album unplugged… J’ai hâte de jouer les nouveaux trucs. Les anciennes deviennent un peu ennuyeuses pour moi.

Vous réadaptez les chansons pour que ça reste intéressant du coup ?

On fait beaucoup ça, oui. C’est pour ça que le concert est vraiment bizarre. Et on joue des chansons qui sont techniquement des remix, avec les versions acoustiques. On joue aussi des chansons de tous les albums pour ça. J’aime aussi beaucoup jouer notre chanson « Out For Blood », car elle est plutôt simple à jouer, implique le public et lance de gros circle pits, c’est toujours un bon moment.

On vous reverra en 2024 en Europe ?

Si les choses vont comme on l’espère, on sera partout. Si on n’est pas frappés par une autre pandémie, ou une autre crise… Notre guitariste vient de se casser la cheville et a dû se faire opérer, donc il est un peu abattu, mais j’ai bon espoir qu’on reviendra l’année prochaine !

As-tu quelques mots pour conclure l’interview ?

Merci à tous ceux qui nous soutiennent depuis des années, on ne va rien laisser nous empêcher de venir cette fois !