Vecteur Magazine

APOCALYPTICA - Les cordes de l’enfer

Par Christophe Pinheiro

Questions de Christophe Pinheiro & Cidàlia Païs

L’histoire de la musique l’a souvent prouvé, le mélange des genres nous offre parfois des choses grandioses. Dans cet art de fusionner les styles, les finlandais d’APOCALYPTICA maîtrisent le sujet depuis presque 30 ans. Après s’être fait connaître par un premier album de reprise de METALLICA, ils sont revenus aux sources, il y a un an avec un deuxième volet. À moins de trois heures de leur montée sur la Mainstage 1 du Hellfest, j’ai eu l’occasion de rencontrer Perttu KIVILAAKSO.

Crédit photos : Didier Rivet

Comment l’approche unique d’APOCALYPTICA envers le heavy metal, à travers l’instrumentation classique, a-t-elle transformé la perception des deux genres ? 

J’espère que nous avons eu la possibilité de repousser nos limites, car le groupe a débuté comme une expérience personnelle. Nous étions des musiciens classiques, mais nous aimions le métal. Du coup, nous voulions simplement jouer nos groupes préférés comme METALLICA, SEPULTURA, SLAYER ou ce genre de choses, au violoncelle. Du coup, nous avons réalisé que nous avions un public nombreux dans le monde entier. Nous jouons dans des festivals, en tournée, et nous prenons beaucoup de plaisir à explorer les possibilités de notre instrument, le violoncelle. Naturellement, notre musique s’adresse à un public très large, à tous les publics. Je pense donc que c’est probablement l’un des aspects les plus agréables et les plus cool d’APOCALYPTICA : notre grande polyvalence et notre capacité à élargir les styles musicaux. 

Vous êtes de retour aujourd’hui au Hellfest. Que représente ce festival pour vous ? 

Oh, c’est l’endroit idéal. Ou plutôt, c’est l’endroit le plus branché. Mais je veux dire, un festival merveilleux. Et on a vu l’évolution de tout ça. Je me souviens d’il y a quelques années, quand on est venus au Hellfest pour la première fois, c’était beaucoup plus petit. C’est incroyable de voir comment il a gagné en popularité et qu’il est devenu l’un des plus grands d’Europe maintenant, avec des line-ups incroyables. Des installations incroyables. Tout est top, bravo pour le travail bien fait et pour le bien-être des artistes et du public. C’est toujours cool d’être ici. Vraiment, j’ai hâte à ce soir. De pouvoir jouer les meilleures chansons de METALLICA devant les français en furie.. Ça va être une super fête. 

Votre prochain concert sera axé sur le répertoire de METALLICA. C’est là que tout a commencé pour APOCALYPTICA. 

Oui. On est un peu revenus à nos racines. On a commencé comme un groupe de reprises de METALLICA, puis on s’est mis à composer nos propres chansons et à sortir plein d’albums originaux. Mais après presque trente ans, on sentait qu’il y avait encore tellement de nos morceaux préférés de METALLICA qu’on n’avait jamais joués ou enregistrés auparavant, que c’était le moment idéal pour faire un deuxième album de chansons de METALLICA. Et ça s’est avéré vraiment génial. On a toujours la même passion et le même enthousiasme qu’à nos débuts, lorsque nous étions adolescents. Mais trente ans plus tard, on a beaucoup plus d’expérience, naturellement, après presque 2 000 concerts, je suppose. Donc, je dirais que c’est la rencontre de l’esprit d’équipe et de la maturité, et ça sonne comme un APOCALYPTICA moderne, la façon dont on a appris à faire de la musique avec le violoncelle. Quand on parle de ça, on a l’impression d’être vieux. 

Mais non, vous êtes jeunes. 

Mais on existe depuis un moment. J’avais 16 ans quand j’ai joué pour la toute première fois avec APOCALYPTICA. C’est fou rien que d’y penser. 

Il y a un an, vous avez sorti un album, “Plays Metallica, Vol. 2”. Il y a de merveilleuses collaborations avec James HETFIELD, Robert TRUJILLO et Dave LOMBARDO aussi. Quels souvenirs gardez-vous de ces collaborations ? 

On a toujours eu une très bonne et étroite relation avec les gars de METALLICA et ils nous ont fondamentalement adorés depuis le début. Donc avant de prendre la décision de faire cet album, on les a contactés pour leur demander ce qu’ils pensaient si on recommençait. Finalement, ces discussions ont fini par les inciter à participer. Rob est venu au studio pour jouer avec nous. Et James était “la perle rare”. Bien sûr, il a toujours été le gars avec qui on pensait que ce serait incroyable de faire une chanson ensemble. Et tout d’un coup, c’était tellement génial qu’il en fasse partie. Et l’un des moments les plus importants de l’album, c’est qu’on a pu utiliser le morceau original de basse de Cliff BURTON pour “The Call of Ktulu”. C’est presque devenu une expérience spirituelle ou religieuse de l’entendre, tu sais, un musicien incroyablement légendaire, des morceaux de basse originaux, le bassiste de METALLICA. Et être en studio, l’entendre jouer, puis faire ses propres arrangements et jouer avec lui, c’était incroyable. J’ai pleuré à plusieurs reprises. C’était incroyable. Donc on est très heureux, satisfaits et reconnaissants pour tout ça. Et il semble que les gens aient vraiment adoré. 

Poursuivons avec les collaborations, vous en avez eu plusieurs dans votre carrière, surtout avec des chanteurs. Qu’est-ce qui vous incite à inclure un chanteur sur un morceau ?

C’est une question d’expérimentation, car nous nous comportons toujours un groupe instrumental. Cela nous donne l’opportunité incroyable de travailler avec de nombreux chanteurs exceptionnels, comme Corey TAYLOR ou Simone SIMMONS, entre autres. Du coup, côté musique, nous pouvons créer différents types de chansons qui leur conviennent. L’expérimentation est donc primordiale. Bien sûr, les gens associent souvent davantage la partie vocale à la musique, et c’est un outil essentiel pour toucher de nouveaux publics, notamment lors de diffusions radiophoniques. Mais je pense que c’est un aspect formidable d’APOCALYPTICA que nous avons toujours cherché à équilibrer la création de nos propres chansons, en reprenant nos morceaux préférés de thrash metal, et en collaborant avec les plus grands noms du milieu. C’est très instructif. On apprend toujours quelque chose de tous ceux avec qui on collabore, et c’est fantastique. Je suis sûr qu’on va continuer, et on a l’impression qu’on n’avait jamais vraiment voulu inclure un chanteur permanent. Ce groupe est axé sur les violoncelles, sur ce qu’on fait, mais on est ouverts aux invitations, tu sais. Des gens qu’on admire, et des gens qui sont devenus nos amis, par exemple. Et c’est tellement cool et magnifique. 

Qu’est-ce qui vous motive après trente ans d’une riche carrière ? De nouveaux objectifs bientôt ? 

Absolument. Je pense que notre principale motivation a toujours été cette curiosité de voir jusqu’où on pouvait aller avec notre concept. Et parce que depuis le début, on avait l’impression que personne ne faisait ça avant. On a dû trouver comment utiliser le violoncelle pour la scène heavy metal. Du coup, on avance toujours à partir de là où on s’est arrêtés et on réfléchit à ce qu’on peut faire ensuite, qui nous semble encore plus fort. Comment pouvons-nous nous impressionner et créer des univers encore plus grandioses ? Et c’est ce qui a été notre principale flamme, notre étincelle, le moteur artistique de notre évolution. Nous améliorer et créer des expériences incroyables pour nous et le public. 

Comment avez-vous abordé l’extraction de l’âme de chaque son de Metallica, l’influence de votre perception de leur musique ? 

C’est une question intéressante, car naturellement, lorsque nous faisons des reprises de METALLICA, nous voulons que cela sonne comme APOCALYPTICA. Nous prenons donc un chef-d’œuvre. Tout le monde connaît des chansons comme « Ride The Lightning » ou des trucs comme ça. Mais nous voulons conserver l’essence de la chanson, qu’elle soit reconnaissable, que les gens puissent s’y adapter, chanter les paroles avec nous, etc. Mais il faut que le son soit frais et que nous modifions les accords, même certaines structures, pour qu’ils s’accordent bien avec le violoncelle. Et parfois, nous rendons les lignes vocales plus instrumentales, comme les solos de guitare, les vibrations, etc. Il faut donc avoir une forte impression d’identité APOCALYPTICA, tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit des plus grandes chansons jamais écrites. Et nous ne voulons pas aller trop loin, trop compliqué, car nous respectons et aimons cette musique. Mais parfois, c’est un véritable défi. Je dirais même que faire un excellent arrangement d’une célèbre chanson de METALLICA peut être encore plus délicat que de composer sa propre chanson. Parce qu’une chanson peut être n’importe quoi. Mais ici, on a envie de saluer la tradition. On adore les défis et tout ça. Composer du matériel et faire des arrangements. Ça vous forme en tant que musicien, en tant qu’artiste, et on a toujours envie de se remettre en question. 

Et comment conciliez-vous le respect du style classique et la fusion d’éléments heavy metal dans vos interprétations ?

Souvent, je pense que le point de départ est la belle sonorité acoustique et classique du violoncelle. Pour nous, il est très important d’avoir suffisamment de cet élément pour éviter toute distorsion, pour que les gens comprennent que c’est le groupe qui joue du violoncelle. Ça commence par ces petits moments, par exemple les intros ou les petits croisements d’une chanson, où on veut volontairement laisser de côté la batterie, la distorsion, etc. Juste une petite touche de musique acoustique. Et j’espère que ça retranscrit bien l’essence même de notre groupe. J’adore le fait qu’on puisse passer d’une musique classique, même très légère, à un chaos total de thrash metal. La palette des possibilités avec cet instrument est donc immense. 

Y a-t-il des chansons que vous n’avez jamais réussi à reprendre, à cause de leur difficulté, par exemple ? 

Sur le premier album, il y avait probablement quelques chansons qui n’ont pas été retenues, simplement parce qu’elles étaient trop complexes et que nous n’avions pas encore les compétences nécessaires pour jouer les solos de guitare, avec le violoncelle. Mais finalement, on a trouvé une solution. Et j’adore dire qu’il n’y a plus rien de trop difficile, on trouve toujours une solution. J’adore le défi d’apprendre tous les solos rapides de Metallica, par exemple. Et c’est dingue de le faire avec le violoncelle. Mais c’est un aspect vraiment fascinant, et j’ai vu tellement de fois les membres de Metallica me demander : « Mec, comment fais-tu ça au violoncelle ? ». Par exemple, James est venu à notre concert en février à Denver, pendant notre tournée américaine. Il voulait être dans le public. C’était tellement beau, et j’étais même un peu nerveux d’avoir M. HETFIELD dans le public. Mais il était époustouflé après le concert. Il nous a dit que c’était l’expérience la plus proche d’un concert de metal, selon lui. D’entendre sa propre musique interprétée par nous. Et bien sûr, ce genre de retours est tellement précieux. Je veux dire, ça explique un peu tout. Pourquoi avons-nous commencé ? Parce qu’on adore la musique et maintenant on a la chance de partager ça avec eux et avec le public. Et c’est la meilleure période de la vie d’APOCALYPTICA  jusqu’à présent. 

Tu as dit que jouer devant James, t’as rendu nerveux. C’est normal. Mais aujourd’hui, après trente ans de carrière, quand, dans quelques heures, tu seras sur scène devant tant de monde au Hellfest, est-ce que ça te rends nerveux lorsque tu montes sur scène ? 

Je ne pense pas vraiment être nerveux. Je ne le suis pratiquement jamais. C’est plus une question de concentration en fait. Tu commences à te préparer pour le concert suffisamment tôt et tu te mets dans la tête qu’il y aura des dizaines de milliers de personnes. C’est fantastique. Mais le plus drôle, lors de ce concert, c’est que, tout d’un coup, une tête se mettait à s’exprimer pendant le premier morceau du concert, et cette personne est le plus grand compositeur de heavy metal de tous les temps. Et j’ai dû lui jouer ses chansons. Ça me rendait un peu nerveux au début, mais plus vraiment lorsque le premier morceau a terminé. Et en fait, j’ai pu savourer le simple fait de le voir là, chanter ses chansons. C’est fou. J’ai donc réussi à dissiper mon anxiété dès le premier morceau. Et c’est devenu le concert le plus amusant de tous les temps. 

Qu’attendez-vous du public du HELLFEST ce soir ? 

Je m’attends à de magnifiques participants interprétant les titres les plus connus de METALLICA, et je trouve ça cool. On ne chante pas, on joue, et puis on a toute la foule qui nous donne, qui nous transmet les paroles. Ils connaissent leurs chansons, ils maîtrisent ce genre de morceaux. Et c’est tellement agréable de voir les gens s’amuser. Ils ont toujours été magnifiques pour nous. Beaucoup d’énergie. 

Le mot de la fin est pour toi.

Je dis exactement la même chose, peut-être en répétant les mêmes choses qu’à cet instant, après presque trente ans de carrière officielle, nous avons compris il y a longtemps que le plus important pour nous était de préserver notre fraternité, notre amitié. Parce que quand on a un bon état d’esprit, on peut le transmettre aussi à l’étranger. Et pour nous, c’est important de montrer une vie positive. De profiter de la vie à travers une musique puissante. Et je ne peux pas dire à quel point je suis reconnaissant que nous ayons encore cette opportunité. Parce que le métier est cruel. Ce n’est pas acquis d’avoir une longue carrière. Avoir encore la possibilité de travailler avec des gens formidables… Et de rencontrer toutes ces foules. Donc, plus je vieillis, plus je suis reconnaissant. J’espère continuer encore longtemps, et ce ne doit pas être notre dernier Hellfest. J’aimerais qu’il y en ait beaucoup, beaucoup plus.