A l’occasion de la sortie du 1er album du groupe, « Causa Sui » le 16 Septembre 2022, Mickaël André (guitariste) nous emmène à la découverte de l’univers de ce tout nouveau (super)groupe.
Carole : Salut Mickaël, merci de prendre le temps d’échanger avec moi ! J’ai eu le plaisir d’assister à votre release party à Toulouse. Ahasver sort son 1er album, mais on ne peut pas dire que les membres du groupe sont des nouveaux venus sur la scène metal, peux-tu m’en dire plus ?
Mickaël : Oui, il y a Nico Bastide au chant qui jouait dans Drawers, Julien Deyres qui fait guitare / voix dans Ahasver, et qui fait chant dans Gorod, et qui a joué dans Zubrowska. On a joué ensemble dans Dysphoria et Eradicate (ça c’est très vieux). Il a aussi des projets grind comme Grist… Je joue dans Ahasver et END (Eryn Non Dae) et il y a eu aussi Nojia, Zubrowska… il y a plein de projets plus ou moins actifs. Il y a Théo (Astorga – NDLR) qui faisait de la batterie dans Zubrowska et Dimitree, et Victor (Minois – NDLR) qui jouait de la guitare dans Psykup par exemple.
Carole : D’accord, c’est un peu votre historique commun avec Zubrowska le point de départ du projet Ahasver ?
Mickaël : Ouais c’est un peu ça. Quand Dimitree s’est arrêté, on s’est dit que ce serait dommage de laisser Théo sans groupe, parce qu’on aime bien son jeu, et on l’aime bien aussi humainement. Du coup, le soir du dernier concert de Dimitree, on s’est dit « refaisons un groupe ». Il y avait Julien, il y avait Nico. Sans parler de point de départ, ça nous permet de retrouver un cercle qu’on connaît un peu. On ne s’est jamais perdus de vue, tous ces gens là, on se connaît quand même depuis 20 ou 25 ans pour certains. Quand on ne joue pas ensemble, on finit toujours par faire un truc à un moment.
Carole : Et ce « point zéro », c’était il y a 5 ans déjà, c’est ça ?
Mickaël : Oui, c’était il y a 5 ans. On a bien pris le temps, et avec les emplois du temps de chacun, en plus, c’est compliqué par moments. L’âge aussi fait qu’on a beaucoup moins de temps pour faire ce qu’on voudrait musicalement. Et puis on n’est plus aussi pressés, on n’a plus cette impression que si on ne se dépêche pas, on va rater des trucs. On ne court plus contre le temps, on sait qu’on ne le maîtrise pas, et encore, on a commencé avant la covid et on était loin de s’imaginer qu’on allait devoir se calmer pendant 2 ans… Je ne sais pas, avec le temps, c’est peut-être la sagesse, ou la fainéantise, ou le corps qui faiblit, mais on fait les choses à notre rythme. On accepte mieux aussi l’idée que les choses ont besoin de maturer. On sait qu’on arrive à des idées sur lesquelles on ne tomberait pas quand on se précipite.
Carole : Du coup pour Ahasver, la période de la pandémie, ça a été une difficulté ou une opportunité ?
Mickaël : Ni l’une ni l’autre, on s’est juste acclimatés. Dès le début, on avait bien perçu que ce n’était pas une situation qui allait s’arrêter en un mois, et du coup, on a mis à profit ce temps pour peaufiner la fin des paroles notamment. On a pris notre mal en patience, d’autant qu’aucun de nous ne vit de la musique, donc on a décidé de prendre les choses comme elles viennent.
Carole : Ce côté « cheminement » m’amène vers le nom du groupe, Ahasver. C’est un personnage qui erre, condamné à l’éternité. Ce nom est arrivé à quel moment des 5 ans ?
Mickaël : C’est arrivé assez tôt. C’est Julien qui a lu une thèse sur le mythe du juif errant, avec ce personnage qui s’appelle Ahasver (Julien Deyres est guide conférencier – NDLR). Il a proposé ce nom-là, et on sait qu’il est dur à prononcer, les gens n’arrivent pas à le lire, c’est un cauchemar pour les dyslexiques (rires), mais petit à petit, il s’est imposé, et le cadre mythologique nous a beaucoup plu, donc on l’a gardé. C’est un mythe très universel, qui permet beaucoup de choses. On savait qu’on allait pouvoir écrire dessus, et pendant longtemps si on veut. Même si l’idée est venue de Julien, il a un peu écrit au début, c’est Nico qui écrit beaucoup maintenant. Du coup, c’est assez marrant, parce qu’on avait le côté très historique et pointu de Julien au début, et après, ça a laissé place à un côté bien plus émotionnel et brut via Nico, donc ça a fait un mélange intéressant sur les paroles.
Carole : Au niveau de votre fonctionnement, justement, comment ça se passe pour la composition ?
Mickaël : En fait, il y a eu plusieurs méthodes qu’on a changées un peu au gré du vent et de nos envies. Au début, on a commencé, Julien et moi, avec des riffs, puisqu’on part souvent de riffs de guitares dans ce genre de musique, et avec notre 1er bassiste qui était aussi ingé son et qui faisait beaucoup de prod, on faisait les morceaux sur l’ordi, puis Nico venait ajouter son chant. Au bout d’un moment, ça a évolué, on est allés en répète pour jouer les morceaux et ça m’a plu. Je compose souvent tout seul pour mes groupes, j’aime bien et je trouve ça assez pratique, et du coup j’ai pris le relais à ce moment-là, j’ai dû faire quelques morceaux aussi comme ça, et quand Victor est arrivé à la basse, il s’est avéré qu’il compose aussi comme ça. Alors, lui aussi a amené 2 ou 3 chantiers, au final, on a mis tout ça en commun et on l’a retravaillé pour que ça nous plaise à tous. Ce n’est pas figé, tout le monde peut participer. Seul Théo a été un peu lésé dans le sens où on a beaucoup créé en amont, donc on ne peut pas dire qu’il a pu créer réellement ses parties de batterie, mais on essaiera de faire différemment sur un prochain album. On a envie que ce soit beaucoup plus composé en répète, avec plus de spontanéité, même si c’est très compliqué de se retrouver tous les cinq dans un local.
Carole : C’est intéressant, parce qu’à l’écoute de l’album et encore plus quand je vous ai vus en live, on ressent des énergies différentes entre les morceaux, tout en ayant aussi une cohérence globale, et ça fait sens avec votre processus créatif où il y a eu plusieurs « porteurs d’idée originelle », puis un travail collectif ensuite qui évite l’effet patchwork.
Mickaël : Quand je te parlais tout à l’heure de cette notion de durée qui ne nous dérange plus trop, je pense que ça sert à ça, à ne pas se précipiter quand tu assembles des idées. Parfois, tu mets peut-être 6 mois à te rendre compte qu’elles ne s’enchainent pas si bien que ça, qu’il y a peut-être un truc plus malin à trouver. J’ai l’impression que c’est le temps qui permet ça, et pas d’y travailler tous les jours, et ça aboutit à cette espère d’unité.
Carole : Cette homogénéisation peut aussi être amenée au niveau de la production, qui s’est occupé du mixage ?
C’est Thibaut Chaumont qui a fait le master, mais c’est Victor qui a tout fait au niveau des prises de sons. On a commencé à réfléchir à comment on allait faire, où, etc. Et il y a toujours la question de l’argent, parce que ça coûte très cher d’enregistrer un album de qualité, Victor fait énormément de pré-prod (notamment pour Psykup) et au fur et à mesure qu’on en parlait, il disait « J’ai qu’à essayer de faire l’album, on verra bien ». Petit à petit, on s’est mis dans cette optique-là, on a fait toutes les prises avec lui, on l’a laissé tout mixer. Au final, on a été très contents du résultat, même s’il nous en a fait baver parce qu’il est très exigeant et qu’on a dû bosser plus que ce qu’on pensait (rires). C’était un sacré défi, son premier enregistrement de bout en bout, et franchement beau boulot !
Carole : Peut-on dire qu’il vous a tyrannisés ? (rires)
Mickaël : Carrément, il faut le dire (rires).
Carole : On va l’écrire, même (rires). D’un côté, c’est peut-être aussi nécessaire dans un groupe d’avoir à la fois des éléments qui se consacrent à la créativité pure, mais aussi d’autres en même temps qui structurent et cadrent pour que ça finisse par s’organiser et avancer, non ?
Mickaël : Oui, sur ça nous avons été tous moteurs à un moment. C’est difficile de garder tout le monde motivé pendant 5 ans, et quand un flanchait un peu, l’autre prenait le relais sur le processus créatif. On s’y met un peu chacun notre tour quand il faut faire des choses, et pour l’instant, ça fonctionne bien comme ça, donc on verra pour la suite.
Carole : Parlons maintenant du sujet de l’album. « Causa Sui » c’est par définition la chose ou l’être généré de lui-même, par lui-même, quelle est votre vision à l’origine de ce choix de titre d’album ?
Mickaël : Alors ça vient de Nico, mais c’est marrant parce qu’on n’a pas tous le même souvenir de comment ça s’est passé. En fait, Ahasver n’a eu besoin de l’aide ni de Dieu, ni de Jésus, donc on pourrait dire qu’il est sa propre volonté, que tout le chemin qu’il parcourt et tout ce qu’il accomplit depuis maintenant 2022 ans, c’est par sa seule volonté. Donc il est « causa sui » par définition. Et je me rappelle aussi que quand cette idée est arrivée, il y avait aussi une notion d’incarnation globale, une énergie : il y a un moment où tu ne fais plus trop le lien entre ce que tu as mis en branle pour arriver à quelque chose et le fait que tu y sois arrivé ou pas. Un peu comme si la raison se coupait de l’accomplissement, et il me semble que ce titre est arrivé à ce moment là.
C’est ouvert, mais ça résume bien les textes et ce qu’on a voulu mettre dans l’album, et aussi ce côté qui traduit un fort sentiment de volonté dans les choses qui arrivent.
Carole : C’est aussi un peu votre parcours sur le projet Ahasver, où vous avez décidé de jouer ensemble, sans pression de temps, en se laissant aller vers un résultat inconnu, mais avec cette volonté de vouloir le tenter.
Mickaël : Exactement, c’est pour ça que ce titre se pointe à ce moment là, et finalement, ça paraît évident à tout le monde. Il est explicable peut-être différemment selon les moments où tu vas poser la question et où on va y réfléchir.
Carole : Si on se plonge dans les titres, on est dans cette thématique de l’errement, de la recherche de sens, d’une forme de deuil aussi, Ahasver n’ayant pas forcément choisi la situation qu’il subit, c’est bien ça ?
Mickaël : Oui, carrément, c’est ce qui permet d’appréhender toutes ces situations qui sont hyper universelles, à travers peut-être une seule étape à chaque fois : celle où tu marches, celle où tu réalises que tu n’es pas sorti du sable et que tu en as pour un moment, celle où tu acceptes et où tu relativises… et du coup chaque morceau décrit (sans être aussi précis que ça) une étape du développement d’Ahasver dans son cheminement, tout en permettant à chacun de s’y reconnaître. Errer dans le désert, se brûler les pieds dans le désert, c’est un symbole, c’est un peu ce qu’on fait tous au quotidien.
C’est dans ce sens-là que je te disais que ce que Nico écrit est très humain, universel et brut, et ça rentrait totalement dans ls concept d’Ahasver, là où si on avait laissé Julien écrire, ça aurait été beaucoup plus mythique peut-être, plus aventureux. Nico c’est un cœur avec des bras et des jambes, et ça se retrouve dans son écriture, où il décrit des sentiments en lien avec des situations. Chaque titre tient en un seul mot, et on voulait que chaque mot traduise un moment du périple.
Carole : J’ai eu le plaisir d’assister à votre release party à Toulouse en Septembre, ça fait quoi de porter l’album sur scène ?
Mickaël : Et bien, ça fait très plaisir évidemment, mais en même temps, on jouait un peu « à domicile », avec un public de gens qui nous connaissent déjà, et un concert c’est très court pour se sentir en confort. Du coup, il nous tarde d’avoir aussi plus de dates, de voir d’autres personnes aussi. Mais c’est un peu compliqué pour tous nous réunir à cause de nos autres groupes, donc on verra !
Carole : Il faut organiser un mini festival avec vos différents groupes sinon (rires).
Mickaël : Même si je me dis que du coup le public serait un peu le même globalement, je note l’idée (rires).